De: Luc Godbout
À: Honorable Carla Qualtrough, ministre de l'emploi, du développement de la main-d’œuvre et de l’inclusion des personnes handicapées, et l’honorable Bill Morneau, ministres des finances
Date: 3 avril 2020
Sujet: La prestation canadienne d’urgence: Après l’urgence, prévoir la transition vers le retour au marché du travail
Comme son nom l’indique clairement, la prestation canadienne d’urgence (PCU) a été spécifiquement conçue comme une aide fédérale d’urgence. Elle a pour but d’offrir un soutien économique aux Canadiens mis au chômage par la crise du COVID-19.
Les seuls critères d’admissibilité pour avoir droit à la PCU sont donc tournés vers le passé. C’est-à-dire, pour y avoir droit un bénéficiaire doit : être un travailleur qui a gagné plus de 5000$ de revenu de travail en 2019 ou dans les 12 derniers mois, avoir cessé d’exercer son emploi ou d’exécuter un travail pour son compte pour des raisons liées à la COVID-19 et être inactif 14 jours consécutifs pendant la période de quatre semaines pour laquelle il demande la prestation.
Contrairement au régime régulier de l’assurance-emploi (AE), aucun critère d’admissibilité ne concerne le fait d’être capable de travailler, disponible pour le faire et à la recherche d’active d’un emploi convenable.
Dans un contexte d’urgence où des provinces ordonnent la fermeture de toutes les entreprises classées « non essentielles » et que des millions de travailleurs doivent rester à la maison, c’est une bonne chose de ne pas avoir conditionné la PCU à une démarche de recherche d’un emploi. Le contraire aurait été un non-sens. À court terme, les paramètres de la PCU sont très bien adaptés à la crise actuelle.
Cela dit, dès lors qu’un travailleur respecte les conditions d’admissibilité à la PCU, ce dernier y aura droit automatiquement pendant un maximum de 16 semaines pourvu qu’il reste inactif pendant 14 jours consécutifs pendant la période de quatre semaines.
Il faut dès maintenant que le gouvernement fédéral réfléchisse au moment où l’économie reprendra progressivement ses activités. Le gouvernement doit favoriser la transition des prestataires vers le retour au marché du travail.
Sinon, avec les paramètres actuels, il y a un fort risque d’observer une désincitation au travail pour certains travailleurs, notamment dans le cas des prestataires qui auraient un travail à temps partiel et faiblement rémunéré. En effet, en l’absence d’une obligation d’être capable de travailler, disponible pour le faire et à la recherche d’active d’un emploi convenable, pourquoi un prestataire accepterait-il, avec empressement à la huitième semaine sur 16 d’admissibilité à la PCU la proposition de son employeur de retourner au travail aux mêmes conditions qu’avant la crise? Prenons l’exemple d’un travail de 20 heures par semaine à raison de 14$ de l’heure, en tout, son revenu de travail atteindrait 280$ par semaine alors qu’il touche 500$ par semaine à la PCU.
Pour certaines PME, déjà qu’elles auront été fragilisées par la crise, cette absence d’incitation au travail de leurs employés aura pour effet de leur ajouter un vent de face important, en nuisant à leur réembauche et au retour à la normale de leur activité.
Alors, quoi faire pour prévoir dès maintenant l’après-urgence et la transition vers le retour au marché du travail?
Même s’il apparait difficile d’établir dès maintenant des conditions additionnelles cherchant à minimiser la désincitation au travail, le gouvernement doit déjà prévoir et envoyer des signaux notamment aux bénéficiaires qui seront capables de travailler et disponibles pour le faire dans les prochains mois. Par exemple, il pourrait déjà prévoir par règlement l’obligation des bénéficiaires d’accepter le retour au travail de leur employeur sous certaines conditions. Ainsi, cette nouvelle obligation pourrait débuter à partir d’une date donnée, celle-ci pourrait être le 15 juin 2020, ou à partir d’un nombre de semaines de prestations de la PCU, ce nombre pourrait être de huit. Cela dit, l’obligation du prestataire de retourner à son ancien emploi devrait être limitée aux situations où les conditions de l’employeur (nombre d’heures par semaine et salaire horaire) ne sont pas moindres que celles prévalant avant le début de l’admissibilité à la PCU.
Luc Godbout est titulaire de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.
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Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur. L’Institut en tant qu’organisme ne prend pas position sur des questions de politique publique.