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Publié dans le journal Les Affaires sur Septembre 1, 2012

Par Philippe Bergevin et Alexandre Laurin

L'offre d'achat de la multinationale Lowe's du détaillant québécois Rona a créé de grands remous dans le milieu des affaires du pays. Elle a aussi créé de vives réactions au sein des milieux politiques québécois, notamment celle du ministre des Finances, Raymond Bachand, qui a déclaré que cette acquisition va probablement à l'encontre des intérêts du Québec. Depuis, les partis politiques se bousculent afin de mettre en avant des propositions qui visent à rendre plus ardu l'achat d'entreprises québécoises par des intérêts étrangers. Au-delà des considérations politiques, le jugement final sur le bien-fondé de cette offre - ou de toute offre similaire - devrait revenir aux propriétaires, c'est-à-dire les actionnaires.

Le Québec est un exportateur relativement important de capital à l'étranger. Récemment, deux acquisitions étrangères de plus de 3 milliards de dollars, comparativement à l'offre de 1,8 G$ pour Rona, ont été réalisées par des fleurons de l'économie québécoise : Alimentation Couche-Tard et CGI, qui ont toutes deux acquis d'importantes entreprises européennes. Au net, le Québec exporte plus d'investissement direct étranger qu'il n'en obtient.

Néanmoins, il existe des raisons légitimes qui devraient pousser les instances gouvernementales québécoises et canadiennes à analyser et même à refuser certaines propositions d'achat étrangères. Ces raisons comprennent par exemple la préservation de la sécurité nationale et la promotion de la culture. Dans notre système fédéral, ces responsabilités incombent au gouvernement canadien, en consultation avec les provinces concernées. Dans le cas qui nous occupe, l'offre d'achat par Rona ne semble pas soulever de questions de politiques publiques, seulement d'ordre économique. Une intervention gouvernementale ne serait donc pas souhaitable.

Le Québec persiste néanmoins à utiliser d'autres outils à sa disposition : la Caisse de dépôt et placement du Québec a augmenté sa participation au capital-actions de Rona, et Investissement Québec est mandatée pour évaluer toutes les options qui pourraient permettre de contrecarrer la concrétisation de cette offre d'achat. L'histoire des interventions du gouvernement du Québec pour favoriser l'achat d'entreprises par des intérêts québécois est parsemée d'échecs, autant pour les actionnaires que pour les contribuables.

La participation de la Caisse aux consortiums qui ont permis d'acquérir l'épicier Steinberg - qui s'est bouclée par une faillite trois ans plus tard - et du Groupe Vidéotron - un investissement qui douze ans plus tard n'est toujours pas profitable - sont des exemples frappants de placements stimulés par des considérations politiques qui ont tourné au vinaigre.

La Caisse a hérité de la lourde responsabilité de gérer les actifs de plusieurs fonds de retraite de travailleurs, dont ceux des employés de l'État, et de gérer au nom de tous les travailleurs québécois leurs cotisations (et celles qui sont faites en leur nom) à la Régie des rentes du Québec. Or, pour garantir les prestations de retraite promises aux futurs retraités aux taux de cotisation en vigueur, autant les fonds de retraite d'employés que la RRQ comptent sur des rendements annuels à long terme d'au moins 7 %. La crise de 2007 a fait reculer le portefeuille de la Caisse de 25 %, et le taux de cotisation à la RRQ a récemment été augmenté. Afin de rattraper le retard, les pressions sont donc fortes sur la Caisse en vue d'encaisser des rendements supérieurs à 7 % pour les années à venir. Une tâche ardue dans les circonstances économiques actuelles.

Les placements de la Caisse devraient être guidés par des considérations financières avant tout. Le modèle d'indépendance par rapport aux pressions politiques qu'adoptent la plupart des grands fonds de pension canadiens a fait ses preuves : les rendements sont au rendez-vous et sont souvent cités en exemple partout dans le monde. Plus fondamentalement, le Québec devrait être plus ouvert et réceptif à l'investissement étranger. L'injection de capitaux étrangers a des effets positifs importants sur la croissance économique, l'acquisition de nouvelle technologie, l'efficience et la productivité ; en somme, elle est associée à un plus haut niveau de vie.

Le gouvernement doit laisser aux propriétaires actionnaires le soin de décider selon leur propre évaluation si l'offre d'achat est suffisante au bénéfice des consommateurs canadiens, des futurs retraités et des contribuables québécois.

Par Philippe Bergevin et Alexandre Laurin, respectivement analyste principal et directeur adjoint à l'Institut C.D. Howe