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Le climat et sa sœur, la biodiversité, sont des jumeaux qu’on n’aurait pas dû séparer à la naissance.

À la COP15 de Montréal, on se penche sur le cas de la petite, aussi grave mais autrement plus compliqué que celui de son frère, traité le mois dernier à la COP27, à Charm el-Cheikh. Les savants docteurs ont intérêt à travailler ensemble, car ces enjeux sont intimement liés.

Le réchauffement climatique réduit la biodiversité et vice versa. Un exemple : le réchauffement étend les déserts et le recul de la végétation réduit le captage naturel du carbone, qui s’échappe dans l’atmosphère et empire le réchauffement.

Heureusement, ce qui est bon pour l’un l’est aussi pour l’autre. On estime que des solutions axées sur la nature pourraient fournir 30 % des efforts nécessaires pour limiter la hausse de la température à 1,5 degré.

La question du réchauffement peut se ramener à la seule mesure du carbone, mais la biodiversité embrasse l’incroyable complexité des liens entre les espèces du vivant, nous inclus.

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La moitié du PIB mondial dépend de la nature, qu’on exploite à 1,6 fois sa capacité à se régénérer. L’ennui, c’est qu’on n’a pas 1,6 planète, mais 1,0. On aura beau être plus efficace, la Terre impose des limites physiques à la croissance, qu’il faut maintenant reconnaître, soutient le professeur de Cambridge Partha Daguspa, auteur de l’important rapport homonyme sur l’économie de la biosphère.

Tout un changement de paradigme, car les modèles économiques classiques ne tiennent pas compte de la valeur du capital naturel et des services qu’il rend, comme la pollinisation par les insectes, qui soutient 75 % des récoltes.

Ce qui n’a pas de valeur marchande tend à être gaspillé. Les entreprises qui exploitent les ressources naturelles paient des royautés minimes et n’assument pas (ou peu) le coût de la pollution qu’elles occasionnent ou du recyclage de leurs produits en fin de vie.

Il y a urgence d’agir, car les spécialistes craignent les points de bascule, impossibles à prévoir, où le cumul des changements graduels déclenche subitement un bouleversement radical et irrémédiable.

MOMENT CHARNIÈRE

Les COP sont des rencontres internationales où les gouvernements prennent acte des rapports scientifiques et s’entendent sur des actions communes. Les consensus sont cependant difficiles avec des intérêts nationaux divergents.

Des politiques publiques audacieuses et des budgets conséquents sont requis pour décarboner l’économie et préserver la biodiversité. Un rapport indépendant évalue à 600 à 800 milliards US le déficit d’investissement annuel dans la biodiversité, que l’on pourrait fermer plus rapidement en réformant les subventions à l’agriculture et à l’exploitation forestière, ruineuses pour les trésors publics et la biodiversité1.

Les gouvernements doivent aussi inciter le privé à faire sa part d’efforts. Mercredi, en marge des négociations, on se réunira au Palais des congrès pour discuter de la contribution de la finance durable.

Un premier défi est de rassembler l’information nécessaire aux décisions éclairées. Beaucoup de grandes entreprises divulguent leur empreinte carbone, mais le travail reste à faire pour les risques et les occasions d’affaires liés à la nature.

Un groupe de travail propose un cadre calqué sur celui utilisé pour le carbone, lequel est maintenant intégré à un projet de norme de l’International Sustainability Standards Board. Je parie ma plus belle chemise qu’il en sera de même dans les prochaines années pour l’information sur la biodiversité, qui par conséquent sera rendue obligatoire par les régulateurs, afin de guider les placements ESG.

Un deuxième défi, plus coriace, est celui de l’investissement, en raison de l’absence habituelle de cashflow positifs dans les projets de préservation ou de restauration de la nature.

La capture du carbone fait exception, s’agissant de plantation d’arbres ou d’installations industrielles, car elles ouvrent droit aux crédits carbone, qui ont une valeur marchande. Le hic est qu’elles sont des expédients trop faciles pour montrer une baisse rapide des émissions, au lieu d’une réduction à la source, alors qu’elles devraient plutôt servir de complément.

Le deuxième obstacle est la qualité des projets, qui varie considérablement. Quand les incendies ravagent les plantations, les crédits s’envolent en fumée si on n’a pas prévu de grandes réserves d’arbres pour les remplacer — ni d’essences variées pour la biodiversité. Quant aux coûteux projets industriels de séquestration du carbone, leur efficacité reste à démontrer.

Les obligations vertes émises par les gouvernements pour financer des projets environnementaux sont une autre option, ainsi que les obligations de durabilité, dont le taux d’intérêt est fonction de la performance de l’émetteur à l’égard d’une cible.

La finance durable fait de grands bonds contre le réchauffement climatique, mais des pas encore timides en faveur de la biodiversité. Une piste prometteuse est de mobiliser les communautés locales et les Autochtones, dont les savoirs et les liens affectifs au territoire en font des gardiens attentifs.

Miville Tremblay, Senior Fellow à L’Institut C.D. Howe, Fellow Invité Au Centre Interuniversitaire de Recherche en Analyse Des Organisations.

Published in La Presse