Une euphorie postpandémique s’empare de nos politiciens en campagne électorale. On aimerait y croire, mais les baisses d’impôt promises par la Coalition avenir Québec (CAQ) et les libéraux posent problème.
Ces annonces plairont au plus grand nombre, mais elles aggraveront l’inflation, que ces partis veulent pourtant soulager. Que vaudra une réduction d’impôt, si elle entraîne des paiements hypothécaires plus élevés ?
Ce n’est pas le moment de stimuler une économie en surchauffe, alors que la Banque du Canada hausse les taux d’intérêt pour calmer le jeu.
Cette générosité soudaine provient d’une lecture avec des lunettes roses du Rapport préélectoral sur l’état des finances publiques du Québec.
Ses projections sur cinq ans sont pourtant à prendre avec des pincettes, même si elles s’appuient sur des hypothèses que la vérificatrice générale juge « plausibles », car rarement conjoncture n’a paru si risquée.
On y constate un rapide redressement budgétaire, grâce à la réduction attendue des dépenses liées à la COVID-19, mais surtout à la hausse des revenus, dopés par une surprenante inflation.
Si on mesure la croissance de l’économie en termes réels – en retirant l’effet de l’inflation –, retenons que le gouvernement taxe les revenus nominaux, qui incluent l’inflation. L’an dernier, le PIB réel a progressé de 5,6 %, mais le PIB nominal a crû de 12,5 % ! Cette année, on prévoit 3,4 % en réel et 9,6 % en nominal.
Dans le tableau de synthèse du rapport, la ligne du bas montre pour l’exercice en cours un déficit de seulement 729 millions de dollars, au lieu des 6,5 milliards du budget de mars. Et encore, il arrive après une provision de 2 milliards pour risques économiques et mesures de soutien, ainsi qu’un versement de 3,4 milliards au Fonds des générations.
Les quatre années suivantes, le déficit prévu varie de 1,3 à près de 2 milliards de dollars, mais toujours après une provision de 2 milliards et la contribution au Fonds des générations. Bref, si on était certains d’éviter une récession ou tout choc imprévu, on pourrait espérer l’équilibre budgétaire, pas des surplus à ne savoir qu’en faire.
Or, le risque de récession est élevé. Desjardins la prévoit l’an prochain, la Nationale pense qu’on l’évitera. La saine prudence invite à conserver la provision au cas où.
REVOIR LE FONDS DES GÉNÉRATIONS
La question du Fonds appelle une réponse nuancée, alors qu’en mars prochain, la dette brute atteindra 40 % du PIB, battant la cible de 45 %. Cet objectif est à revoir. Il serait préférable de plutôt viser la dette nette (la dette brute moins les actifs financiers), qui permet une comparaison avec les autres provinces.
En mars dernier, la dette nette du Québec s’établissait à 38 % du PIB, comparativement à 33 % pour la moyenne des provinces. Plutôt qu’une cible chiffrée, on devrait viser un ratio légèrement sous cette moyenne, quelle qu’elle soit, afin de figurer parmi les meilleurs élèves et mériter les bonnes grâces des marchés lors des tempêtes.
La CAQ finance ses baisses d’impôt en détournant 39 % des sommes dédiées au Fonds, dont le but est de réduire l’iniquité intergénérationnelle.
Si les sources de revenus consacrées au Fonds sont trop abondantes pour la nouvelle cible, il serait préférable, une fois l’inflation maîtrisée, d’en consacrer une partie à réduire l’autre grande dette intergénérationnelle, celle des changements climatiques.
Le fardeau fiscal des Québécois est le plus lourd en Amérique du Nord, mais avec une dette encore élevée, il y a un malaise à emprunter pour réduire les impôts, sans être en récession et croire ce stimulus plus efficace que des investissements publics.
SOULAGER L’INFLATION
On avait oublié la douleur d’une inflation élevée, après 30 ans près de 2 %. Mais tous n’en souffrent pas également. Les personnes les plus frappées ont des revenus qui ne suivent pas l’inflation – souvent des retraités – ou des revenus si faibles qu’elles n’ont aucune marge de manœuvre pour absorber des prix plus élevés, sans couper dans l’essentiel.
À l’inverse, sont gagnantes les personnes qui ont des dettes, dont le poids réel est rongé par l’inflation. Particulièrement si elles ont une hypothèque à taux fixe, inférieur à l’inflation, ou si leurs revenus suivent le coût de la vie.
Les économistes recommandent de limiter l’aide aux plus démunis, mais la tentation politique d’arroser la classe moyenne semble irrésistible en campagne électorale.
L’aide aux aînés à faible revenu des libéraux et de la CAQ est appropriée. Les paiements de 500 $ du budget et de 400 $ ou 600 $ promis la semaine dernière favorisent l’inflation, mais au moins, ils ne sont pas récurrents et compensent grossièrement l’indexation de l’impôt qui ne surviendra qu’en janvier.
Les baisses de 1 % de la CAQ et de 1,5 % des libéraux aux premiers paliers d’imposition sont difficiles à justifier. Le premier ministre Legault les invoque pour augmenter la croissance, quand l’économie peine à répondre à la demande, et favoriser la participation au marché du travail, alors que le taux de participation n’a jamais été si élevé.
Les deux partis de l’économie nous avaient habitués à plus de rigueur.
Miville Tremblay, Senior Fellow à L’Institut C.D. Howe, Fellow Invité Au Centre Interuniversitaire de Recherche en Analyse Des Organisations.