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Faut-il que les grands fonds de retraite canadiens, un peu à la manière de la Caisse de dépôt et placement du Québec, démontrent une plus grande préférence nationale dans leurs placements ?
Cette question brûlante est au cœur d’un débat dans le monde feutré du placement. La Caisse est le modèle qui inspire et fait peur avec son double mandat d’optimiser le rendement des déposants et de favoriser le développement économique du Québec.
En théorie, un investisseur parfaitement diversifié aurait une petite participation dans tous les actifs dans le monde. En pratique, ce n’est ni possible ni souhaitable, mais l’investisseur avisé répartit ses œufs dans un grand nombre de paniers.
Par préférence nationale, on entend la surreprésentation des placements dans le pays de l’investisseur. Ici, tout ce qui dépasse 3 %, soit le poids des actifs canadiens dans le monde.
Une lettre de gens d’affaires déplore que les actions canadiennes aient fondu de 28 % de l’actif total des caisses de retraite en 2000, à moins de 4 % en 2023, ce qui accroît le coût de capital des entreprises, réduit leur valeur et leur croissance1.
Une préférence nationale est financièrement justifiée par l’avantage informationnel de l’investisseur sur son terrain – la Caisse connaît mieux les entreprises québécoises que chinoises – et par une réduction de certains risques, comme la fluctuation des devises ou l’expropriation.
En revanche, la Bourse canadienne est peu diversifiée : les institutions financières, l’énergie (pétrole et gaz) et les matières premières représentent 63 % de l’indice phare.
La ministre des Finances Chrystia Freeland a mandaté Stephen Poloz, ex-gouverneur de la Banque du Canada, pour sonder les grandes caisses afin de suggérer des mesures pouvant les encourager à investir davantage au Canada. Son rapport est attendu à l’automne.
Entre-temps, une étude réalisée par Keith Ambachtsheer, une sommité sur les fonds de retraite, Sebastien Betermier, professeur de finance à McGill, et Chris Flynn, de CEM Benchmarking, la plus riche base de données sur les caisses de retraite, apporte un éclairage utile en comparant les investissements de 157 fonds du Canada, du Royaume-Uni et des États-Unis, de 2013 à 20222.
En 2022, les entreprises canadiennes composaient 18 % du portefeuille d’actions des caisses de retraite canadiennes, contre 33 % en 2013. Les obligations canadiennes avaient fléchi de 96 % à 88 % sur la même période. Une évolution semblable est observée dans les deux autres pays, à la faveur d’une diversification internationale.
Le poids des actions a aussi reculé au bénéfice de l’immobilier et des infrastructures qui, en matière de risque et de rendement, se situent entre les actions et les obligations.
Les grands fonds canadiens ont investi massivement dans les infrastructures à l’étranger, comme des ports en Australie ou des aéroports en Europe, mais au Canada ces actifs prisés appartiennent au gouvernement. Les auteurs recommandent à Ottawa d’en vendre et d’en recycler le produit dans de nouvelles infrastructures.
La préférence nationale mesurée en pourcentage est un indicateur imparfait. Plus une caisse est grande, plus il devient imprudent d’avoir une forte proportion de ses investissements au pays et devenir un gros poisson dans la mare. La Caisse veut porter à 100 milliards ses actifs québécois en 2026, mais ne dit rien du pourcentage, qui pourrait rester autour des 20 % actuels.
Ce serait une erreur de réimposer aux fonds de retraite (et aux REER) l’obligation de contenu canadien abolie en 2005 et facilement contournable avec des produits dérivés.
Une règle d’or est de respecter l’autonomie des gestionnaires dans le choix des placements. Les politiciens peuvent proposer des projets, créer des incitations, mais le conflit d’intérêts est trop important pour forcer une décision favorable.
Heureusement, la Caisse peut refuser un projet de transports en commun dans l’est de Montréal, mais investir à Québec si elle juge les conditions propices.
Les grands fonds publics connus sous le pseudonyme de Maple 8 ne veulent pas du double mandat de la Caisse3. Ils laissent le téléphone sonner quand un ministre appelle.
En 1965, la création de la Caisse fut une expression du « Maître chez nous » de Jean Lesage. Les temps ont changé. Il serait opportun de recadrer la préférence nationale comme une manifestation de la finance durable, qui se soucie des effets de ses investissements sur l’économie, l’environnement et la société. Après tout, les retraités et futurs retraités se préoccupent du monde laissé à leurs enfants.
En accord avec leur devoir fiduciaire, les caisses de retraite gérées activement peuvent jouer un rôle clé et payant dans le financement de la transition vers une économie sobre en carbone, en investissant dans les infrastructures vertes et les entreprises qui ont des projets de décarbonation crédibles.
Il est plus compliqué, mais nécessaire, de concilier la gestion des risques, la recherche du rendement et l’impact favorable sur l’environnement et la société. Pas dans chaque investissement, pas pour régler tous les problèmes, mais cet équilibre est l’étoile Polaire des placements durables.