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26 June 2018

A l’attention de: Les Canadiens préoccupés par l’avenir de l’ALÉNA

De la part de: Gilles Gauthier

Date: 22 juin 2018

Objet: La renégociation de l’ALÉNA. Vers un nouveau paradigme? (I)

Au début du printemps, le Premier Ministre Trudeau et le Président Trump affichaient un certain optimiste sur une conclusion imminente des négociations de l’ALÉNA. Puis est venue l’imposition de tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium par les États-Unis, suivie quelques jours plus tard de l’annonce de représailles équivalentes par le Canada, et encore d’autres menaces américaines, celle-ci visant le secteur automobile, le plus important secteur du commerce bilatéral.

Ces développements récents chambardent les échéanciers, et surtout forcent une réflexion sur l’avenir de l’ALÉNA. Quels scénarios se dessinent dans les mois à venir? Quelles stratégies s’offrent au Canada?

D’entrée de jeu, il convient de rappeler que l’ALÉNA est un sujet politique impopulaire aux E-U, et ce depuis au moins une dizaine d’année.  Sous Obama, le nom même de l’accord était à tout fin pratique proscrit des communications de l’Administration. Durant le dernier cycle électoral, il est tout simplement devenu toxique, et la condamnation sans équivoque exprimé par le candidat Trump a certes joué un rôle significatif dans les résultats de l’élection.

Au Congrès et dans l’Administration, la priorité a résolument été donnée aux mesures de renforcement des lois commerciales contre les importations. Il y a eu entre-autres, le « Trade Facilitation and Trade Enforcement Act 2015 » qui a renforcé les mesures de protection contre les importations, et l’adoption de propositions visant à étendre les obligations d’achat de contenu local sous la rubrique de « Buy America».

Plus significatif encore est le fait que tous les principaux acteurs de l’Administration actuelle, du moins ceux directement responsables des dossiers commerciaux, n’ont pas une vision favorable au libre-échange.

Au Congrès, les leaders républicains ont des positions plus traditionnelles et libre-échangistes, bien qu’ils aient leurs demandes particulières sur certain enjeux. Les leaders démocrates sont essentiellement contre les accords commerciaux.  Ils mettront des bâtons dans les roues de tout accord.

Au niveau des enjeux, le Canada est dans une position défensive.  Le statut quo est acceptable.  Il faut faire le minimum de concessions pour arriver à un accord, ou pour éviter que le Président mette ses menaces à exécution et déchire l’ALÉNA.

Le Canada a des intérêts offensifs majeurs, mais ceux-ci sont à toutes fins pratiques irréalisables. Par exemple, le Canada souhaiterait contrecarrer l’expansion du Buy America et idéalement en être exempté.  Or il faut se battre pour garder ce qui existe en matière d’obligation sur les marchés publics.

Le Canada a aussi traditionnellement voulu contrecarrer l’utilisation abusive des recours commerciaux : anti-dumping, droits compensateurs, sauvegarde. Les contrepoids à ceux-ci sont très faibles vu la discrétion administrative dans les enquêtes. Toutefois, compte-tenu des vues au Congrès et dans l’Administration, il est impossible d’envisager de meilleures règles dans ces domaines et le Canada devra se battre pour maintenir le chapitre 19 de l’ALÉNA, seule soupape contre les mesures unilatérales.

Même concernant des objectifs plus modestes, comme la mobilité des professionnels, il y a une vive opposition au Congrès pour modifier de telles mesures via les accords commerciaux.

Les États-Unis ont par contre des objectifs offensifs très nombreux et qui touchent plusieurs cordes sensibles au Canada. Il a beaucoup été question des règles d’origine sur les autos, au sujet desquelles l’objectif américain est clair : ils veulent rapatrier des productions aux E-U. Il y a aussi l’abolition des tarifs douaniers sur les produits sous gestion de l’offre qui se traduirait par l’élimination de ce système dans son entier; le renforcement des règles en matière de propriété intellectuelle, y compris des mesures pour bloquer les produits de contrefaçon qui pourraient transiter par le Canada, le relèvement du niveau « de minimis » pour exemption de droits et taxes sur les achats en ligne; les pratiques des sociétés des alcools provinciales, une clause crépusculaire de cinq ans, et des changements drastiques aux mécanismes de règlements des différends, dont l’élimination du mécanisme du Chapitre 19 de l’ALÉNA concernant les droits antidumping et compensateurs, qui a souvent donné raison au Canada.

Demain nous discuterons de ce qu'il faut faire.

Gilles Gauthier est un ancien fonctionnaire fédéral du commerce. Il a été ministre des Affaires économiques à l'ambassade du Canada à Washington, négociateur en chef pour l'agriculture au ministère de l'Agriculture et quatre ans à la mission canadienne à l'OMC.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles des auteurs. L’Institut en tant qu’organisme ne prend pas position sur des questions de politique publique.

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