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29 November 2017

Expéditeur:  Ian Irvine

Destinataires: Canadiens concernés

Date: 29 novembre 2017

Objet: Les taxes sur le cannabis : freinons notre enthousiasme

Les recettes fiscales possibles découlant du cannabis légal ne devraient pas générer trop d’enthousiasme chez les gouvernements et les contribuables du Québec, ni même du reste du Canada. Les recettes seront très limitées à court terme, et modestes à plus long terme.

Pour projeter les revenus potentiels, il faut connaître la taille du marché potentiel. Un rapport publié en 2016 par le directeur parlementaire du budget constitue une excellente source pour ce faire.

Il a constaté, ce qui n’est guère étonnant, que le cannabis est aujourd’hui largement accessible au Canada, qu’il est d’excellente qualité et qu’il est peu coûteux.

Par conséquent, si le cannabis est légalisé, le secteur légal devra atteindre les mêmes standards que les vendeurs à la sauvette et les dispensaires dans la zone grise, à un prix semblable. Le rapport estime que la consommation actuelle se situe dans les alentours de 650 tonnes, ou 650 millions de grammes.  Après la légalisation, ce total pourrait augmenter, possiblement de 10 à 15%. Ce chiffre concerne uniquement le cannabis consommé sous forme de fleurs; si les produits à base d’huile sont inclus, l’équivalent total devrait se situer dans les alentours de 800 tonnes à court terme et de 900 tonnes métriques à plus long terme.

Au Québec, le prix courant du cannabis acheté en petites quantités se situe entre 7$ et 8$ le gramme, et entre 5$ et 6$ lorsqu’il est acheté en quantités d’une demi-once (14,5 grammes) ou d’une once.

Une règle fiscale qui fait l’objet de bon nombre de discussions est celle d’« un dollar le gramme », qui pourrait maintenir le prix légal à des niveaux qui ne dépassent pas trop le prix illégal. En pratique, cela signifie que si les détaillants exigent un prix avant taxe de 6$, le prix légal moyen serait de 7$, taxes incluses. Cela correspond également à un taux de taxe de 15%.

Examinons les conséquences pour les recettes. Comme le Québec compte un peu plus du cinquième de la population canadienne, supposons qu’il contient 2% des utilisateurs. Par conséquent, la consommation à court terme au Québec s’élèvera à 200 millions de grammes. Toutefois, le marché ne sera pas totalement légal. La nouvelle Société québécoise du cannabis n’arrivera pas à répondre immédiatement à la demande. Bien qu’elle ait pour objectif d’ouvrir 150 points de vente, seulement 15 magasins auront ouvert leurs portes d’ici à juillet de l’an prochain.

Il sera difficile de générer une part légale importante du marché, en raison des coûts associés à la vente au détail. Tout comme la vente au détail de vêtements, de produits électroniques, de livres et ainsi de suite souffre des effets des ventes en ligne moins coûteuses, une vente au détail extrêmement efficace sera requise pour que le cannabis légal puisse pénétrer le marché de façon significative. La recherche issue du Colorado et de l’État de Washington indique que la vente au détail dans des magasins physiques peut représenter jusqu’à la moitié du coût d’approvisionnement total. Et nous parlons d’un environnement où les salaires sont relativement peu élevés. De plus, toute recette fiscale générée sera compensée par les coûts initiaux de l’ouverture de points de vente physiques.

En raison de la capacité d’approvisionnement limitée pendant les deux premières années, il est probable que seulement 25% de la consommation totale proviennent de circuits légaux. Donc, 25% de 200 millions correspondent à 50 millions de grammes, et un taux de taxe de 1$ le gramme génère des recettes de 50 millions de dollars. 

Si ces recettes sont partagées en parts égales entre le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial, cela générera 25 millions de dollars pour le Québec, soit environ 3$ par résident. Si le partage est effectué à 2:1 en faveur de la province (ce qui correspond grosso modo à la TVP par rapport à la TPS), cela se traduit par un peu plus de 4$ par résident.

À plus long terme, si 900 millions de grammes sont consommés et les points de vente légaux représentent 70% des ventes, les ventes réalisées dans la province généreront des recettes d’environ 105 millions de dollars, soit 13$ par résident. 

Les contribuables ne doivent pas oublier que la légalisation vise principalement à décriminaliser la consommation et à remplacer le marché noir et le marché gris par des marchés légaux. Les recettes fiscales ne fourniront qu’un ajout modeste aux recettes totales. Réfléchissez à ceci : 100 millions de dollars correspondent à seulement un dixième de 1% des recettes budgétaires provinciales.

Ian Irvine est professeur d’économie à l’Université Concordia de Montréal.

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