Destinataires : Autorités de réglementation du courtage immobilier du Canada
Expéditeurs : Paul Johnson et Anthony Niblett
Date : 22 septembre 2022
Objet : Savoir tirer parti des effets de réseau afin de créer une valeur ajoutée pour les acheteurs et les propriétaires-vendeurs au Canada
Vous avez peut-être remarqué une augmentation du nombre de pancartes qui annoncent qu’une propriété est à vendre à titre d’« Inscription exclusive » ou qu’elle sera « Bientôt à vendre ». Ces pancartes ne sont pas simplement des stratégies de marketing utilisées pour vendre des propriétés. Ce sont des exemples d’approches qui pourraient miner la valeur créée par les systèmes de service d’inscriptions multiples, Multiple Listing Service® (marque de commerce désignée par le sigle MLS dans le présent texte).
Au Canada, les propriétaires-vendeurs peuvent inscrire leurs propriétés sur un système MLS pour les promouvoir auprès d’un vaste public. Les acheteurs utilisent les portails comme realtor.ca ou point2homes.com pour trouver un large éventail de propriétés inscrites sur les systèmes MLS. Même les personnes qui ne cherchent pas à acheter ou à vendre une propriété se fient aux systèmes MLS, par exemple en consultant une appli lors d’une promenade. Au Canada, les systèmes MLS regroupent des renseignements riches et précis sur une vaste sélection de propriétés qui sont à vendre dans l’immédiat, ainsi que sur celles qui ont déjà été vendues. En somme, ces systèmes créent une valeur considérable pour les propriétaires-vendeurs et les acheteurs canadiens.
Cette valeur découle, en grande partie, de l’« effet de réseau » selon lequel plus un service est utilisé, plus grande est sa valeur. Plus le nombre d’acheteurs consultant le système MLS est élevé, plus la participation a de valeur pour les propriétaires-vendeurs. Et plus le nombre de propriétaires-vendeurs utilisant la plateforme est élevé, plus la participation a de la valeur pour les acheteurs, ce qui crée ainsi un cercle vertueux.
La collaboration entre les courtiers et agents immobiliers membres de L’Association canadienne de l’immobilier (ACI) est le fondement des systèmes MLS et, au Canada, cette collaboration est encadrée par des règles que les chambres et associations immobilières ont adoptées. Le secteur de l’immobilier fait depuis des années l’objet de surveillance en ce qui a trait aux questions de concurrence. Mais, dans la présente étude, nous nous concentrons sur les effets de réseau des systèmes MLS. À la base, les effets de réseau reflètent simplement les avantages intrinsèques que procure aux acheteurs et aux propriétaires-vendeurs le fait d’effectuer des opérations immobilières dans des marchés « larges » par rapport à des marchés « étroits ».
Plus un système MLS est exhaustif, plus fort est son effet de réseau; nous examinerons donc quels changements aux règles actuelles pourraient favoriser l’exhaustivité de ces systèmes. Dans une étude que nous avons réalisée, qui a été commandée par l’ACI, nous exposons des façons pour y arriver. Nous fournissons des orientations – nos recommandations ne sont pas de nature prescriptive.
Trois points à retenir
Premièrement, la collaboration entre les courtiers et agents immobiliers est en grande partie volontaire au Canada et ils sont, en règle générale, libres d’afficher certaines inscriptions sur un système MLS et de ne pas en afficher certaines autres. Ce modèle d’« inscription volontaire » permet effectivement à certains courtiers et agents d’affaiblir l’effet de réseau, et par conséquent, la valeur que ces systèmes créent.
Les courtiers et agents qui, avec la permission de leurs clients, créent des réseaux privés d’« inscriptions exclusives » réduisent les effets de réseau. Les pratiques de marketing de type « Bientôt à vendre » sont aussi en réalité des façons d’éviter d’afficher les inscriptions. Ces actions risquent de fragmenter les systèmes MLS, puis de diminuer leur exhaustivité, et par conséquent, la valeur créée. Si certains courtiers ou agents, et peut-être certains acheteurs et propriétaires-vendeurs, bénéficient individuellement de ces pratiques, ces dernières sont plutôt défavorables à la plupart des propriétaires-vendeurs. Ces pratiques nuisent aussi aux acheteurs, car elles augmentent leurs coûts de recherche. De plus, quand des propriétés ne sont pas inscrites aux systèmes MLS, l’éventail de données comparables est affaibli – particulièrement dans les marchés qui enregistrent peu de ventes. Cette situation réduit la capacité des acheteurs et des propriétaires-vendeurs à bien estimer la valeur des propriétés.
Les règles actuelles d’inscription imposées et gérées par les chambres et associations sont peut-être trop permissives et devraient être resserrées. Par exemple, des courtiers ou agents qui publient certaines de leurs inscriptions sur le système MLS devraient être tenus d’y publier toutes leurs inscriptions, et ce, peu après la promotion de la propriété auprès du grand public. Cela dit, l’interdiction catégorique des pratiques d’inscription exclusive n’est assurément pas la solution. Certains propriétaires-vendeurs – comme les célébrités ou les politiciens – peuvent avoir des préoccupations légitimes relatives à la vie privée lorsqu’il s’agit d’utiliser un système MLS pour inscrire leur propriété. Dans certaines circonstances limitées, les méthodes de marketing « Bientôt à vendre » peuvent être justifiées. Dans la mesure où ces exceptions sont permises, les chambres et associations immobilières devraient les encadrer soigneusement et rigoureusement pour en confirmer le bien-fondé.
Deuxièmement, les effets de réseau des systèmes MLS sont indirects : les acheteurs profitent d’une participation accrue des propriétaires-vendeurs, et vice-versa. Dans cette perspective, la participation tant des acheteurs que des propriétaires-vendeurs est essentielle à la création de valeur. Cette dynamique reflète les effets bidirectionnels des systèmes MLS, que l’on retrouve aussi dans d’autres secteurs. Par exemple, une carte de crédit n’est utile aux consommateurs que si les commerçants l’acceptent, et un commerçant n’accepterait probablement pas une carte de crédit qui n’est utilisée que par un faible nombre de consommateurs. Les portails, qui constituent la technologie donnant accès aux données des systèmes MLS, jouent un rôle important pour assurer la participation directe des acheteurs et celle, indirecte, des propriétaires-vendeurs et rivalisent pour attirer l’attention des utilisateurs en leur proposant notamment des fonctionnalités et des données novatrices. Si les acheteurs en profitent directement, les acheteurs tout comme les propriétaires-vendeurs bénéficient indirectement de la hausse de la participation et du renforcement des effets de réseau qui en découle. Les chambres et associations immobilières, ainsi que les autorités de réglementation, doivent tenir compte de ces effets avantageux lorsqu’ils élaborent des règles, afin que les systèmes MLS continuent de miser sur ces portails hautement efficaces afin de créer de la valeur.
Troisièmement, en dépit de la présence d’effets de réseau, l’augmentation de l’utilisation des données des systèmes MLS ne se traduit pas forcément par une augmentation de la valeur. Le libre accès pourrait entraîner une trop vaste diffusion des renseignements sur les propriétés (p. ex., plans, photographies), ce qui compromettrait la vie privée des consommateurs et dissuaderait les propriétaires-vendeurs d’avoir recours aux systèmes MLS. Ces préoccupations de confidentialité sont particulièrement exacerbées si les renseignements sont conservés à perpétuité et contrôlés par un tiers, dont les intérêts financiers sont différents. Par ailleurs, un accès plus vaste pourrait affaiblir la motivation d’investir dans l’amélioration des portails et des systèmes MLS. Nous estimons que les chambres et associations immobilières devraient restreindre l’accès lorsqu’elles perçoivent un risque pour l’exhaustivité, par exemple dans le cas de la promotion de données précises sur les propriétés par des tiers, si les propriétaires-vendeurs ou les acheteurs jugent cette promotion inacceptable. Précisons que toute entité qui a accès aux systèmes MLS à des fins d’une transaction immobilière crée censément de la valeur, et devrait donc conserver cet accès. D’autres entités, comme les entreprises de technologie immobilière, qui fournissent des services technologiques complémentaires au secteur immobilier pourraient aussi ajouter de la valeur aux systèmes MLS.
Paul Johnson est membre du Conseil sur la politique de la concurrence de l’Institut C.D. Howe et propriétaire de Rideau Economics. De 2016 à 2019, il était titulaire de la Chaire T. D. MacDonald en économie industrielle du Bureau de la concurrence.
Anthony Niblett est professeur agrégé et titulaire de la chaire de recherche en droit, économie et innovation de la faculté de droit de l’Université de Toronto.
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Les opinions exprimées sont celles des auteurs. L’institut C.D. Howe en tant qu’organisme ne prend pas position sur des questions de politique publique.