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Briser l’impasse : comment les banques d’infrastructure stimulent les investissements privés et compensent les défaillances du marché
Summary:
Citation | Sebastien Betermier. 2025. "Briser l’impasse : comment les banques d’infrastructure stimulent les investissements privés et compensent les défaillances du marché." Comm 683. Toronto: C.D. Howe Institute. |
Page Title: | Briser l’impasse : comment les banques d’infrastructure stimulent les investissements privés et compensent les défaillances du marché – C.D. Howe Institute |
Article Title: | Briser l’impasse : comment les banques d’infrastructure stimulent les investissements privés et compensent les défaillances du marché |
URL: | https://cdhowe.org/publication/briser-limpasse-comment-les-banques-dinfrastructure-stimulent-les-investissements-prives-et-compensent-les-defaillances-du-marche/ |
Published Date: | May 20, 2025 |
Accessed Date: | October 23, 2025 |
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L’étude en bref
- Il faudra d’importants investissements publics et privés dans les infrastructures pour répondre à un éventail de besoins au Canada et ailleurs dans le monde, et particulièrement pour soutenir les projets de transition énergétique et numérique. Cependant, les promoteurs privés se retrouvent souvent coincés dans une impasse : ils ont besoin de capitaux privés pour lancer, développer et mener à bien de nouveaux projets d’infrastructure, mais les investisseurs privés sont réticents à financer ces projets, car le rendement attendu du capital investi ne justifie pas la prise de risque.
- Je m’appuie sur des entretiens avec des parties prenantes et six études de cas afin de comparer les banques d’infrastructure publiques situées en Australie, en Californie, au Canada, dans la région nordique et de la mer Baltique, en Écosse et au Royaume-Uni. Je démontre comment ces banques réduisent les obstacles au financement pour les promoteurs privés, je présente le modèle des banques d’infrastructure comme un outil stratégique rentable, j’explique les principaux facteurs de risque et j’établis les priorités stratégiques pour le Canada.
- Pour obtenir du succès, le modèle des banques d’infrastructure doit gérer plusieurs risques et obstacles externes. Pour ce faire, l’État doit notamment mobiliser le secteur privé – et non l’évincer – sur les marchés des infrastructures, élaborer un cadre stratégique commun qui définit le rôle des banques d’infrastructure par rapport à celui d’organismes subventionnaires et fournir un cadre complet d’évaluation du rendement à court et à long terme.
Introduction
Il faudra d’importants investissements publics et privés dans les infrastructures pour répondre à un éventail de besoins, particulièrement sur les marchés des transitions énergétique et numérique. Selon le rapport Global Infrastructure Outlook (2018), des investissements de l’ordre de 94 billions de dollars américains seront nécessaires d’ici 2040 pour combler les lacunes en infrastructures et s’adapter aux changements économiques et démographiques1Voir : Global Infrastructure Hub et Oxford Economics. (2018). Global Infrastructure Outlook: Infrastructure Investment Needs, 56 Countries, 7 Sectors to 2040. Global Infrastructure Hub. https://cdn.gihub.org/outlook/live/methodology/Global+Infrastructure+Outlook+factsheet+-+June+2018.pdf.. De même, dans un rapport de 2018 de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), on estimait à 6,9 billions de dollars américains les investissements annuels nécessaires pour atteindre les objectifs de développement durable à l’échelle mondiale2Source : OCDE. https://www.oecd.org/en/publications/financing-climate-futures_9789264308114-en.html.. Plus récemment, dans un rapport de 2023 du Fonds monétaire international (FMI), on prévoyait qu’il faudrait investir 418 milliards de dollars américains supplémentaires, soit environ 0,45 pour cent du produit intérieur brut mondial, pour permettre un accès universel à Internet haute vitesse3Voir : Oughton, E., Amaglobeli, D.et Moszoro, M. (2023). Estimating Digital Infrastructure Investment Needs to Achieve Universal Broadband. Fonds monétaire international, IMF Working Paper 23/27. https://www.imf.org/en/Publications/WP/Issues/2023/02/10/Estimating-Digital-Infrastructure-Investment-Needs-to-Achieve-Universal-Broadband-529669..
Il sera difficile d’obtenir les investissements privés massifs nécessaires pour répondre à tous les besoins en infrastructures. Les promoteurs privés se retrouvent souvent coincés dans une impasse : ils ont besoin de capitaux privés pour lancer et développer de nouveaux projets d’infrastructure, mais les investisseurs privés sont réticents à financer ces projets, car le rendement attendu du capital investi ne justifie pas la prise de risque. Cette impasse aboutit à une défaillance du marché, car le secteur privé est incapable de combler seul le manque d’investissement. Les défaillances du marché peuvent survenir dans plusieurs contextes, par exemple quand les investisseurs privés trouvent le marché trop risqué en raison de sa nouveauté et de sa complexité, ou quand les objectifs stratégiques du gouvernement divergent des objectifs du secteur privé, ce qui retarde le développement du marché4Pour accéder aux recherches sur les défaillances du marché et connaître l’histoire des banques de développement publiques, voir : Griffith-Jones et Ocampo (2018), Marois (2014), Mazzucato et Penna (2016), et Mazzucato (2018)..
Une des questions stratégiques à se poser est la suivante : devrait-on utiliser les banques d’infrastructure comme un outil stratégique pour pallier les défaillances du marché, catalyser les investissements privés dans les marchés des infrastructures et accélérer l’atteinte des objectifs stratégiques? Au cours de la dernière décennie, les gouvernements ont lancé de nouvelles banques d’infrastructure, dont la Clean Energy Finance Corporation (CEFC), en Australie, en 2012, la Banque de l’infrastructure du Canada (BIC) en 2017, la Scottish National Investment Bank (SNIB) en 2020 et la United Kingdom Infrastructure Bank (UKIB) en 2021. Depuis, la raison d’être et l’utilité des banques d’infrastructure font l’objet de vifs débats. Par exemple, en 2014, un projet de loi visant l’abolition de la CEFC a été déposé au parlement australien. En 2022, le Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités de la Chambre des communes du Canada a recommandé l’abolition de la BIC. En octobre 2024, le gouvernement du Royaume-Uni a décidé de renommer la UKIB le National Wealth Fund (NWF), en plus d’étendre son mandat au-delà des infrastructures.
Dans le présent article, je soulève des considérations importantes sur la manière d’utiliser les banques d’infrastructure comme un outil stratégique rentable pour catalyser les investissements privés dans les marchés des infrastructures. J’explique comment elles peuvent pallier les défaillances du marché et je passe en revue leurs forces et leurs limites opérationnelles par rapport à d’autres outils stratégiques comme les subventions, les crédits d’impôt et la réglementation. Je traite ensuite des défis rencontrés par les banques d’infrastructure dans le cadre de leur mandat, comme le risque d’évincer le secteur privé, la gestion des risques d’investissement et la mesure du rendement. Enfin, je présente des stratégies pour réussir et je souligne les priorités du Canada pour l’avenir.
L’analyse se fonde sur des entretiens détaillés et les études de cas de six banques d’infrastructure : la CEFC, en Australie, la California Infrastructure and Economic Development Bank (IBank), la BIC, au Canada, la Banque nordique d’investissement (BNI), la SNIB, en Écosse, et le NWF, au Royaume-Uni. Ces études de cas donnent un aperçu de la façon dont les banques d’infrastructure fonctionnent pour pallier les défaillances du marché et accélérer l’atteinte des objectifs stratégiques sur un éventail de marchés. Parmi ceux-ci se trouvent les marchés particulièrement difficiles de l’énergie, comme l’agrostockage de carbone et l’« acier vert », ainsi que les marchés de la transition numérique qui visent un accès universel à Internet haute vitesse.
Les études de cas et les entrevues m’ont permis de faire trois constatations principales. Premièrement, différentes raisons expliquent pourquoi les promoteurs privés éprouvent de la difficulté à obtenir du financement sur les marchés des nouvelles infrastructures. Le problème tient au fait que les investisseurs privés voient les marchés des nouvelles infrastructures comme complexes, peu familiers et très risqués. Ce n’est pas comme investir dans un pont à péage ou dans un hôpital, deux cas pour lesquels il y a un historique de rendement établi et un cadre éprouvé d’évaluation des risques par rapport au rendement. Par exemple, les investisseurs privés qui souhaitent mettre en place un réseau de recharge de véhicules électriques sont confrontés au risque d’un faible taux d’utilisation sur de longues périodes et, par conséquent, à des revenus instables. Comme ce marché est tout à fait nouveau, il n’existe aucun historique de rendement pour mener une évaluation fiable des risques par rapport au rendement.
De plus, le lancement des nouvelles infrastructures ne peut souvent se faire qu’une fois les chaînes d’approvisionnement entièrement opérationnelles, ce qui représente un frein supplémentaire aux investissements privés. La mise en place de chaînes d’approvisionnement exige une coordination exceptionnelle entre les parties prenantes. Par exemple, l’exploitation d’éoliennes en mer nécessite l’infrastructure nécessaire pour importer, transporter, assembler et entretenir les éoliennes, ainsi qu’un réseau de transport les reliant à la côte et une capacité de stockage d’énergie suffisante pour emmagasiner l’énergie produite. Les marchés des nouvelles infrastructures peuvent aussi être des secteurs à forte intensité de capital. Ils exigent des engagements d’investissement à grande échelle de la part de nombreux prêteurs, et nécessitent donc une coordination financière étroite.
Deuxièmement, les banques d’infrastructure peuvent pallier les défaillances du marché, catalyser les investissements privés dans les marchés des infrastructures et accélérer l’atteinte des objectifs stratégiques. En tant qu’organismes gouvernementaux, les banques d’infrastructure ont une plus grande tolérance au risque et des horizons temporels plus longs que les investisseurs privés. Elles disposent également d’un ensemble unique de leviers de financement5En tant qu’organismes gouvernementaux, les banques d’infrastructure tirent parti du pouvoir d’imposition du gouvernement, qui leur assure un revenu. Elles peuvent ainsi se projeter sur des horizons à long terme et avoir une grande tolérance au risque, ce qui augmente leur marge de manœuvre dans divers contextes. Le gouvernement peut aussi emprunter à des taux d’intérêt plus faibles que le secteur privé. Toutefois, comme le démontrent Boyer, Gravel et Mokbel (2013), le véritable coût des fonds publics doit aussi tenir compte de la possibilité implicite que le gouvernement couvre la non-rentabilité d’un projet en levant des impôts supplémentaires auprès des contribuables.. Elles disposent ainsi de la flexibilité nécessaire pour concevoir des stratégies financières créatives afin de pallier les défaillances du marché. Par exemple, les banques d’infrastructure peuvent utiliser le financement concessionnel, notamment en offrant des prêts à des taux inférieurs à ceux du marché pour les projets aux retombées importantes. Elles peuvent transférer les risques associés aux projets des investisseurs privés au secteur public en accordant des créances subordonnées, en fixant des modalités de remboursement flexibles et en offrant des garanties de prêt. Les banques d’infrastructure peuvent aussi jouer le rôle d’investisseurs principaux et coordonner les parties prenantes de la chaîne d’approvisionnement. Enfin, en faisant preuve de leadership sur le marché et en établissant la feuille de route des nouveaux projets, les banques d’infrastructure peuvent mettre en place un cadre éprouvé d’évaluation des risques par rapport au rendement et ainsi élargir l’univers des possibilités pour les investisseurs privés.
Troisièmement, les six banques d’infrastructure adoptent des stratégies d’investissement variées dans divers marchés. Chaque banque a des priorités d’investissement distinctes qui s’arriment aux objectifs uniques de son gouvernement, combine divers leviers de financement et utilise différentes approches d’investissements selon le type de défaillance du marché à pallier6La BNI a pour objectif de promouvoir les gains de productivité et les avantages environnementaux, tandis que la CEFC, en Australie, mise principalement sur la décarbonation. Les priorités stratégiques peuvent cibler des groupes de population, comme les communautés autochtones au Canada et les ménages à revenus faibles ou modestes en Californie. Les priorités stratégiques peuvent aussi changer au fil du temps. Ce fut le cas pour la BNI, qui s’est tournée vers le financement des industries liées à la défense en 2022, en raison de préoccupations géopolitiques grandissantes. Chaque banque d’infrastructure applique également une combinaison différente de leviers financiers. Par exemple, la CEFC, en Australie, le NWF, au Royaume-Uni, et la BIC, au Canada, accordent un financement concessionnel, tandis que la SNIB, en Écosse, n’en offre pas. L’IBank, en Californie, la Banque nordique d’investissement et le NWF, au Royaume-Uni, utilisent différentes formes de garanties de prêt. Enfin, chaque banque d’infrastructure se fonde sur une approche d’investissement distincte, selon le type de défaillance du marché qu’elle cherche à pallier. La BIC, au Canada, intervient au début du projet et a pour stratégie de se retirer dès que le marché privé est établi. Pour leur part, la CEFC, en Australie, et la SNIB, en Écosse, demeurent engagées et continuent de développer leurs marchés..
À partir de mon analyse, je propose un cadre illustrant les contextes dans lesquels le modèle des banques d’infrastructure peut créer de la valeur en tant qu’outil stratégique rentable dans l’écosystème gouvernemental. Les banques d’infrastructure sont généralement plus efficaces dans la promotion des externalités positives, comme l’énergie propre générée grâce aux nouveaux projets d’infrastructure, que dans l’atténuation des externalités négatives, comme la pollution causée par les sources d’énergie existantes. Contrairement aux programmes de subventions, dont les dépenses ne sont pas récupérées, les banques d’infrastructure investissent les fonds publics avec pour objectif de récupérer la totalité de leurs investissements et de dégager un rendement financier. Elles génèrent également des externalités positives par la mise en place de la nouvelle infrastructure, comme la création d’emplois et la décarbonation. À l’inverse des sociétés d’État, les banques d’infrastructure investissent du capital avec pour objectif que le secteur privé prenne le relais et poursuive seul le développement du marché. Elles sont les plus efficaces sur les marchés des infrastructures où une défaillance freine les investissements privés malgré des occasions d’affaires attrayantes.
Cependant, le modèle des banques d’infrastructure est confronté à plusieurs risques externes et obstacles qui peuvent nuire à son efficacité. Un de ces obstacles est le faible engagement du gouvernement à stimuler la participation du secteur privé sur les marchés des infrastructures. Sans un engagement ferme du gouvernement et un environnement réglementaire pour les appuyer, les banques d’infrastructure peuvent éprouver de la difficulté à établir des partenariats avec les investisseurs privés. Un autre facteur de risque est l’absence d’un cadre stratégique commun qui définit les rôles distincts des banques d’infrastructure et des organismes subventionnaires. Il en résulte un manque de coordination, qui favorise la concurrence entre les deux organismes pour des projets similaires. Pourtant, en se dotant d’un tel cadre, les deux organismes peuvent mettre à contribution leurs propres forces pour collaborer stratégiquement et tirer le maximum de leurs ressources. Les changements soudains aux politiques du gouvernement constituent un autre facteur de risque qui complique la mise en œuvre de projets à long terme par les banques d’infrastructure. Il y a aussi le conflit entre les attentes à court et à long terme : les parties prenantes peuvent s’attendre à un rendement immédiat de leurs investissements, ce qui entre en conflit avec l’objectif de la banque d’infrastructure d’offrir des capitaux patients pour les projets d’infrastructure à long terme. Pour de nombreux projets, les banques d’infrastructure doivent intervenir tôt, lorsque les risques sont les plus élevés. Cependant, il pourrait s’écouler plusieurs années avant que ces projets ne génèrent des rendements positifs, ce qui complique la manière d’évaluer les banques d’infrastructure.
Le modèle des banques d’infrastructure est aussi complexe à mettre en œuvre et est confronté à des défis opérationnels et de gouvernance. L’un de ces défis est la possibilité d’éviction du secteur privé si les banques d’infrastructure prennent une trop grande place dans le marché. Cette situation peut survenir lorsqu’elles ne stimulent pas suffisamment la participation du secteur privé et finissent par offrir des conditions de prêt avec lesquelles les prêteurs privés ne peuvent rivaliser. L’absence d’un cadre d’investissement indépendant constitue un autre enjeu, qui peut entraîner une sous-optimisation en ce qui a trait au choix des projets et à la gestion des risques d’investissement. Les banques d’infrastructure ont une efficacité optimale lorsqu’elles établissent leurs priorités stratégiques en fonction des politiques du gouvernement, tout en conservant la capacité de prendre des décisions d’investissement indépendantes et de fonctionner comme des institutions du secteur privé. L’absence d’un cadre d’évaluation du rendement clair et complet pose un défi supplémentaire, car les banques d’infrastructure ont de multiples objectifs, notamment un rendement ajusté au risque et des retombées sociales, comme la décarbonation et l’amélioration de la productivité.
Malgré la complexité opérationnelle des banques d’infrastructure, la présente analyse brosse un portrait théorique et pratique en faveur de ce modèle en tant qu’outil stratégique rentable pour catalyser les investissements privés sur un éventail de marchés des infrastructures. Dans cet article, je suggère plusieurs manières de surmonter les principaux défis et de maximiser l’efficacité des banques d’infrastructure. Afin de susciter des attentes réalistes, il importe de souligner que les études de cas choisies ne représentent pas le portefeuille complet des banques d’infrastructure. En outre, elles se basent sur des entretiens qualitatifs et ne constituent pas une analyse quantitative des données sur le rendement. La plupart des banques d’infrastructure présentées dans cette étude sont jeunes et offrent des capitaux patients dans le cadre de projets à long terme qui n’ont pas atteint leur maturité. Une telle analyse quantitative constituera la prochaine étape essentielle afin d’approfondir la discussion.
1. Analyse des cas de défaillance du marché et des solutions
1.1 Défaillances du marché et processus de recherche
Les études de cas se fondent sur des entretiens détaillés avec les cadres supérieurs de six banques d’infrastructure et couvrent un éventail de marchés : l’agrostockage de carbone (Australie), le stockage d’énergie par batterie (Canada), l’exploitation d’éoliennes en mer (Écosse), l’acier vert (région nordique et de la mer Baltique), les prêts aux petites entreprises (Californie) et l’accès universel à Internet haute vitesse (Royaume-Uni). Chacune illustre les différentes défaillances du marché qui freinent les investissements privés et expose comment les banques d’infrastructure peuvent y remédier.
J’utilise le cadre conçu par Mazzucato et Penna (2016) pour catégoriser les différents types de défaillances du marché. Il existe quatre catégories principales :
- Défaillance du marché attribuable au risque : Lorsque les marchés émergents sont trop risqués pour les investisseurs privés en raison de leur nouveauté, de leur complexité et de l’absence de flux de rentrées constants et assurés qui en découlent.
- Défaillance du marché contracyclique : Lorsque les marchés privés sont à court terme et très cycliques, ce qui nuit à la croissance à long terme.
- Défaillance du marché relative au développement : Quand les marchés privés manquent de concurrence entre les acteurs géants établis et que les nouveaux n’arrivent pas à y pénétrer.
- Défaillance du marché due aux divergences : Lorsque les objectifs de la politique gouvernementale divergent des objectifs d’investissement du secteur privé, ce qui retarde le développement du marché.
Cinq des six études de cas se rapportent à une défaillance du marché attribuable au risque, ce qui indique que les banques d’infrastructure sont particulièrement actives dans ce domaine. Toutes les études de cas démontrent pourquoi les promoteurs privés éprouvent de la difficulté à obtenir du financement pour les projets de nouvelles infrastructures. Sur certains marchés, ce défi est attribuable à une forte fragmentation, qui exige des contrôles préalables rigoureux pour des transactions relativement petites, par exemple pour l’agrostockage de carbone et les prêts aux petites entreprises. Sur d’autres marchés, le principal obstacle est l’exposition importante aux risques externes, comme la volatilité des prix des minéraux essentiels (notamment pour le stockage d’énergie par batteries), l’obligation de bâtir une chaîne d’approvisionnement entièrement coordonnée (comme pour les éoliennes en mer) ou la nécessité d’obtenir un financement à grande échelle auprès de multiples prêteurs (comme pour les projets d’acier vert).
Les cas illustrent généralement des défaillances du marché attribuables au risque, mais il peut y avoir un chevauchement avec d’autres catégories de défaillance. Par exemple, le secteur de l’agrostockage de carbone en Australie et celui du stockage d’énergie par batterie au Canada sont tous les deux confrontés à la volatilité des prix du carbone et du lithium en raison de déséquilibres entre l’offre et la demande et du caractère embryonnaire des deux secteurs. En intervenant sur ces marchés, la CEFC et la BIC jouent un rôle contracyclique en plus d’atténuer les risques. De même, le secteur des éoliennes en mer en Écosse est confronté à une économie locale peu développée en matière d’énergie éolienne, ce qui crée une dépendance envers les fournisseurs externes. Ainsi, la SNIB développe le secteur localement en plus d’atténuer les risques.
La sixième étude de cas est un excellent exemple de défaillance du marché due aux divergences. Dans le cadre du projet Gigabit, au Royaume-Uni, on devait prévenir un retard potentiel dans l’établissement d’un accès à Internet haute vitesse dans les régions rurales. Cette étude de cas illustre les avantages d’un cadre stratégique intégré pour aider les organismes gouvernementaux à répartir stratégiquement les capitaux de la manière la plus rentable.
Dans chaque étude de cas, la banque d’infrastructure utilise diverses stratégies et leviers de financement pour attirer les investissements privés. Il peut s’agir de financement concessionnel (CEFC, en Australie), de conditions de prêt flexibles (BIC, au Canada), de garanties de prêt (BNI, dans la région nordique et de la mer Baltique, et IBank, en Californie), de la coordination des parties prenantes dans toute la chaîne d’approvisionnement (BIC, au Canada, SNIB, en Écosse, et NWF, au Royaume-Uni) ou de l’établissement d’une feuille de route pour atténuer le risque perçu (CEFC, en Australie, BIC, au Canada, et IBank, en Californie). Il n’existe aucune solution universelle pour ces projets d’infrastructure, et chaque problème doit être résolu en tenant compte de son contexte unique.
J’ai aussi mené des entretiens avec des cadres supérieurs d’autres banques d’infrastructure, comme le Green Investment Fund, en Nouvelle-Zélande, et le National Infrastructure Fund, en Arabie saoudite, ainsi qu’avec des promoteurs du secteur privé qui ont obtenu du financement après de banques d’infrastructure. Au total, j’ai réalisé 20 entretiens d’août 2024 à novembre 2024.
1.2 Agrostockage de carbone, Australie
Le gouvernement australien mise sur l’agrostockage de carbone pour atteindre son objectif de carboneutralité d’ici 2050. Son but est de créer des puits de carbone en incitant les agriculteurs et agricultrices à consacrer une partie de leurs terres au captage de carbone et à la biodiversité. Par des activités de piégeage de carbone, comme la plantation d’arbres, ils peuvent générer et recevoir des unités de crédits carbone, ou Australian carbon credit units (ACCU). Ils peuvent ensuite vendre ces ACCU sur le marché du carbone à des industries qui cherchent à compenser leur empreinte et à atteindre leurs quotas de réduction du carbone. Cette mesure crée un revenu supplémentaire pour les agriculteurs et agricultrices et est un moyen d’atteindre la carboneutralité pour d’autres industries.
Malgré les efforts politiques considérables du gouvernement australien pour développer l’agrostockage de carbone, il est difficile de convaincre les institutions de prêt et les entreprises agricoles d’y participer. Les banques hésitent à octroyer des prêts aux projets d’agrostockage, car l’agriculture est un marché très fragmenté, principalement formé de petites et moyennes entreprises. Les banques doivent ainsi mettre en œuvre des mesures de contrôle pour tous les prêts aux exploitations agricoles. L’agrostockage de carbone est également un nouveau secteur, et les équipes de contrôle des banques ne disposent d’aucun cadre indiquant clairement comment aménager la terre de manière optimale pour gérer simultanément la production agricole principale et la plantation d’arbres. L’octroi de prêts comporte donc d’importants risques pour les banques.
Du point de vue des agriculteurs et agricultrices, les incitatifs sont insuffisants pour les convaincre de se lancer dans l’agrostockage, car le marché du carbone comporte des risques liés à la volatilité des prix. Comme il faut quelques années aux cultures de piégeage de carbone, comme les arbres, afin de devenir suffisamment matures pour générer des unités de crédits carbone, les exploitations agricoles sont confrontées aux risques liés à la volatilité des prix des ACCU durant la période de maturation. En outre, la plupart des fermes sont lourdement endettées, et leurs propriétaires hésitent à contracter davantage de dettes pour créer des puits de carbone, particulièrement parce qu’ils sont déjà exposés à la volatilité saisonnière des prix des récoltes. Enfin, les exploitations agricoles ne sont pas assujetties aux cibles de réduction des émissions de carbone à l’échelle nationale et ne sont donc pas tenues de prendre des mesures en ce sens.
La CEFC, en Australie, est intervenue pour stimuler le secteur de l’agrostockage et accélérer l’atteinte des objectifs de réduction des émissions de carbone du gouvernement. En janvier 2025, elle a investi 200 millions de dollars australiens avec Rabobank Australia afin d’offrir un financement concessionnel aux projets d’agrostockage de carbone. La transaction vise l’octroi de prêts allant jusqu’à 5 millions de dollars australiens par demande. De plus, la CEFC et Rabobank ont créé un guide pratique à l’intention des agriculteurs et agricultrices sur la gestion des crédits carbone. Ce guide les aide à comprendre que les ACCU sont des atouts précieux, car ils peuvent les vendre sur le marché du carbone, les conserver en attendant une hausse des prix ou les utiliser pour compenser volontairement leurs propres émissions. En collaborant avec une banque, la CEFC contribue à réduire le coût des prêts aux projets d’agrostockage de carbone, à établir un cadre de prêt et à informer les agriculteurs et agricultrices des avantages de cette pratique.
En plus de ce nouveau programme de prêt, la CEFC et des investisseurs institutionnels ont injecté des fonds dans de vastes plateformes agricoles. Ces plateformes permettent d’agréger les ACCU de toutes les exploitations agricoles et constituent ainsi une source plus stable de crédits carbone, ce qui a pour effet de stabiliser leur prix et de réduire les risques liés à l’instabilité des revenus. L’envergure des plateformes contribue étalement à rendre le secteur de l’agrostockage intéressant pour les investisseurs institutionnels. Cette étude de cas illustre comment la CEFC catalyse les investissements privés dans le marché d’une nouvelle infrastructure en utilisant l’agrégation et la mise à l’échelle, en mettant les entreprises agricoles en relation avec les banques, en créant un processus simple et structuré pour accéder aux prêts et en soutenant le fonctionnement efficace des marchés des ACCU.
1.3 Installation de stockage d’énergie d’Oneida, Canada
Le stockage d’énergie apparaît rapidement comme une infrastructure essentielle pour gérer la production intermittente d’énergie renouvelable de source éolienne, solaire et hydroélectrique. En 2019, NRStor Inc. et Six Nations of the Grand River Development Corporation ont soumis une proposition au gouvernement de l’Ontario afin de bâtir la première grande installation de stockage d’énergie propre au Canada, et l’une des plus grandes au monde, dans le sud-ouest de la province. Ce projet, qui est en cours de construction, aura une capacité de stockage de 250 à 1 000 mégawattheures7Pour en savoir plus, voir : https://news.ontario.ca/fr/release/1004567/lontario-conclut-le-plus-important-approvisionnement-en-stockage-denergie-par-batterie-au-canada-pour-repondre-a-la-demande-croissante-en-electricite.. L’installation de stockage offrira plusieurs avantages : arbitrage d’énergie (atténuation des périodes de pointe), réponse en fréquence rapide (maintien d’une alimentation en énergie stable) et capacité de démarrage à froid (démarrage rapide du réseau après une panne). L’installation sera construite et exploitée par des promoteurs privés, qui offriront des services de stockage d’électricité à la Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité (SIERE), la société d’État qui gère l’électricité en Ontario.
Le marché du stockage de l’énergie est nouveau, et le coût de la construction et de l’exploitation d’une installation de cette taille est difficile à évaluer. Le gouvernement court le risque de payer un montant excessif pour les services de stockage d’électricité. Pour les promoteurs privés, un projet de cette envergure pose des risques considérables en ce qui a trait à la disponibilité et au coût des matériaux. En effet, cette nouvelle installation de stockage d’énergie utilisera un grand nombre de batteries Megapack aux ions de lithium. Le coût de ces batteries dépend du prix du carbonate de lithium, qui est volatil. Quand les promoteurs commandent des batteries, il y a un délai entre le moment de la commande et leur expédition. Ce délai est important, car le coût des batteries est établi au moment de l’expédition. Ainsi, les prix du carbonate de lithium peuvent augmenter entre la commande et l’expédition. Par conséquent, les promoteurs sont exposés aux risques liés à la volatilité du prix du carbonate de lithium, qui peut entraîner une flambée du coût des batteries. Par exemple, entre 2020 et 2024, les prix du carbonate de lithium ont fluctué entre 71 500 yuans et plus de 600 000 yuans la tonne (entre 13 500 dollars canadiens et 114 000 dollars canadiens la tonne, environ, au début de 2024) en raison de l’augmentation de la demande de véhicules électriques et de la production limitée et volatile de lithium8Voir : https://tradingeconomics.com/commodity/lithium..
La BIC est entrée en jeu pour faire le pont entre le gouvernement et les promoteurs privés. Quatre entreprises se sont unies pour former la coentreprise Oneida Energy Storage LP chargée de construire et d’exploiter l’installation de stockage d’énergie ontarienne, soit NRStor, Six Nations of the Grand River Development Corporation, Northland Power et Aecon Concessions. La BIC a octroyé au projet un prêt pouvant atteindre 535 millions de dollars canadiens, dont les modalités de remboursement et la taille dépendaient de la concrétisation des risques pour Oneida et SIERE. Le montage financier de la BIC reposait sur le prix courant du lithium et était réparti en deux volets : 1) un prêt à court terme pour la construction de l’installation; et 2) un prêt à long terme pour aider les partenaires à assumer les risques liés à la construction de la première installation du genre et à la fluctuation des prix des minéraux essentiels. Ce prêt a réduit les risques associés au projet, tant pour le gouvernement que pour les promoteurs privés.
La BIC est un organisme gouvernemental dont la majorité du personnel provient du secteur privé, ce qui a contribué à renforcer sa crédibilité et la confiance des parties prenantes des secteurs public et privé. La BIC a aussi rempli son mandat d’assurer la participation des communautés autochtones en travaillant avec la Six Nations of the Grand River Development Corporation. Enfin, en appuyant ce projet, le gouvernement a acquis les connaissances nécessaires pour répondre à des besoins d’infrastructure semblables à l’avenir.
1.4 Port d’Ardersier, Écosse
Le port écossais d’Ardersier, près d’Inverness, était utilisé à l’origine dans les années 1970 et 1980 pour la construction de plateformes pétrolières et gazières dans la mer du Nord, mais il a été fermé en 2001. Par la suite, il a rouvert en 2014, car les gouvernements écossais et britannique souhaitaient mettre en place d’ici 2030 un important parc d’éoliennes flottantes et sur fondation fixe en mer ayant une capacité de 50 gigawatts. Le port d’Ardersier a le profil parfait pour devenir un important carrefour de l’énergie éolienne en raison des vents abondants de la mer du Nord et de ses eaux profondes, qui peuvent facilement accueillir de grands navires de charge pour le transport d’équipement et de matériaux.
L’obtention d’investissements privés afin de développer le port pour desservir l’industrie éolienne était problématique, car pour devenir opérationnel, un tel carrefour avait besoin d’une chaîne d’approvisionnement complète et coordonnée. Cette chaîne d’approvisionnement était complexe et devait pouvoir accueillir de l’équipement spécialisé, comme des éoliennes géantes transportées sur d’énormes navires de charge et devant être entreposées au port. En plus du transport et de l’entreposage, l’assemblage, l’installation, l’entretien, la main-d’œuvre et l’expertise – lesquels dépendent largement de fournisseurs externes – constituaient d’autres défis. En outre, les éoliennes flottantes en mer posaient des difficultés supplémentaires, car elles utilisent les plus grosses turbines, sont dotées d’une infrastructure unique et nécessitent un entretien particulier. Pour établir un écosystème fonctionnel au port, tous les acteurs privés devaient se coordonner et collaborer sur toute la chaîne d’approvisionnement.
En 2023, Haventus, un promoteur privé appartenant au Quantum Capital Group, une société de financement par capitaux propres privée du Texas dans le secteur de l’énergie, a vu le potentiel du port d’Ardersier de devenir un carrefour de l’énergie éolienne en mer et a investi 300 millions de livres sterling en capitaux propres pour son développement. En 2024, cet investissement a été suivi de facilités de crédit de 100 millions de livres sterling offertes par la SNIB, en Écosse, et le NWF, au Royaume-Uni. L’investissement des banques d’infrastructure a fourni les capitaux nécessaires pour compléter la chaîne d’approvisionnement essentielle. Plus précisément, les capitaux ont permis la construction d’un nouveau mur et d’un bord de quai de 650 mètres afin d’accueillir de plus gros navires. De plus, l’investissement massif de la SNIB et du NWF a renforcé la confiance d’Haventus envers l’engagement des deux gouvernements à assurer le succès à long terme du port. Ces conditions ont ensuite encouragé de nouveaux promoteurs privés à entrer en jeu et à contribuer aux différentes composantes de l’écosystème éolien, comme le stockage d’énergie par batterie en mer, et à refaire du port un employeur local important. L’étude de cas du port d’Ardersier illustre comment les banques d’infrastructure peuvent jouer le rôle d’investisseur principal à long terme pour établir les chaînes d’approvisionnement et catalyser les investissements privés d’envergure dans l’infrastructure stratégique.
1.5 Acier vert de Stegra, Suède
La fabrication de l’acier compte pour sept à neuf pour cent des émissions de carbone mondiales. Elle est reconnue comme une industrie dont il est difficile de réduire les émissions, car il n’existe pas encore de solution propre et facile à mettre en œuvre pour remplacer ses processus à forte intensité carbonique. (Kim et coll., 2022). En 2020, l’entreprise privée Stegra (anciennement H2 Green Steel) a établi une usine de fabrication d’acier vert de 270 hectares dans la ville de Boden, située dans la région intérieure du nord de la Suède. Ce projet avait un objectif ambitieux : réduire les émissions de CO2 de jusqu’à 95 pour cent par rapport à la fabrication d’acier traditionnel et devenir la première usine d’acier vert d’envergure au monde capable de produire cinq millions de tonnes d’acier vert de haute qualité par année d’ici 2030.
Stegra devait relever de nombreux défis. Le premier était d’assurer la rentabilité du processus de fabrication à grande échelle. La ville de Boden était l’emplacement idéal sur le plan de l’efficacité en raison de son accès à la matière première et de la proximité du fleuve Lule, qui fournit de l’énergie hydroélectrique à la Suède. Ainsi, Boden offre un accès facile au réseau électrique, un critère essentiel pour l’installation de production d’hydrogène de 700 mégawatts de l’usine d’acier vert. Cette installation a besoin d’un approvisionnement abondant en électricité propre afin de produire les quantités d’hydrogène vert nécessaires pour fabriquer l’acier.
Le deuxième défi consistait à établir la chaîne d’approvisionnement. Stegra a conclu des accords à long terme pour ses matières premières et ses besoins en électricité, en plus de signer des contrats exécutoires de cinq à sept ans avec sa clientèle pour 60 pour cent de sa production annuelle initiale. Il y avait une demande manifeste pour l’acier vert de la part des producteurs en bout de chaîne, particulièrement du côté des constructeurs automobiles européens, qui cherchent à devenir carboneutres en réduisant leurs émissions de portée 3. Pour y parvenir, toute la chaîne de valeur doit être durable et prête à payer une prime pour l’acier vert.
Le troisième défi résidait dans l’obtention d’un financement à grande échelle. La mise en place de l’usine nécessitait plus de six milliards d’euros en prises de participation et en emprunt de capitaux. En raison de l’envergure du nouveau projet, un vaste groupe de prêteurs a établi un montage financier complexe qui a nécessité le soutien des fournisseurs et des producteurs en bout de chaîne, ainsi que le partage des risques au moyen de garanties d’État et le soutien d’institutions financières nationales et internationales.
En décembre 2023, la BNI a octroyé à Stegra un prêt de 57 millions d’euros sur 12 ans. En participant au projet comme prêteur, la BNI a fourni un financement et a manifesté son soutien. Elle a suivi ses processus de contrôle standard pour vérifier les paramètres du projet et ses répercussions attendues. En outre, la BNI est l’un des partenaires du programme de garanties InvestEU, qui fournit une assurance de portefeuille pour les investissements très risqués. InvestEU est un programme de l’Union européenne qui assure les prêts accordés par ses partenaires. Le projet d’acier vert de Stegra a obtenu l’approbation du comité d’InvestEU, qui a fourni un soutien indirect par le partage des risques et a renforcé la crédibilité de cette initiative d’envergure cruciale dans le secteur de l’acier, où il est difficile de réduire les émissions.
1.6 Initiative de garantie des microprêts pendant la pandémie de COVID-19, Californie
L’IBank, en Californie, illustre une autre manière pour les banques d’infrastructure d’utiliser les garanties de prêt afin de contribuer à pallier une défaillance du marché. Dans le cas présent, la défaillance concernait l’octroi de prêts aux petites entreprises. Celles-ci sont généralement les dernières à obtenir du crédit, car les banques considèrent qu’elles présentent un risque élevé. De plus, les mesures de contrôle pour un prêt de 50 millions de dollars américains sont les mêmes que pour un prêt de 500 000 dollars américains. Du point de vue d’une banque, les petits prêts sont moins rentables. Pour remédier à ce problème, la Californie a mis en place un programme qui offre à un groupe de prêteurs privés des garanties sur les prêts qu’ils accordent aux petites entreprises. Les garanties de prêt de l’IBank contribuent à réduire les risques pour les prêteurs privés lorsqu’ils accordent de petits prêts.
Ce programme est devenu très important durant les fermetures liées à la pandémie de COVID-19. Le 19 mars 2020, la Californie a imposé un confinement. Cette situation a entraîné une grande incertitude quant à la survie des petites entreprises. Dix jours plus tard, le 2 avril, un programme de garantie des microprêts en cas de catastrophe a été mis en place pour aider les petites entreprises à survivre. Ce programme a été rendu possible grâce à l’injection d’urgence de 50 millions de dollars américains en crédits à l’IBank. Celle-ci a restructuré son programme traditionnel de garantie de prêt en cas de catastrophe et a utilisé ce montant pour octroyer des garanties de microprêts. Le nouveau programme garantissait jusqu’à 95 pour cent des prêts au lieu des 80 pour cent prévus dans le programme traditionnel, et ce, au taux préférentiel du Wall Street Journal majoré d’un pour cent. Cette couverture plus élevée a contribué à neutraliser le risque de défaillance et constituait à la fois une incitation et une condition pour les prêteurs afin qu’ils accordent des prêts à un taux d’intérêt plus bas aux petites entreprises. Le programme a été en vigueur jusqu’au 4 décembre 2023 et a permis de distribuer 110 millions de dollars américains en microcrédits à 2 381 entreprises. Ces prêts se sont avérés essentiels pour permettre aux petites entreprises de survivre aux fermetures liées à la pandémie de COVID-19. Notons que 87 pour cent des prêts ont été accordés à des entreprises appartenant à des minorités ou à des femmes, ainsi qu’à des entreprises situées dans des zones à revenus faibles ou modestes. Le microcrédit moyen accordé était inférieur à 50 000 dollars américains, et le taux de défaillance était bien inférieur aux estimations des banques, avec un taux de radiation net de 4,6 pour cent en 2023 et de 8 pour cent en 2024. Ce résultat est impressionnant compte tenu de l’ampleur de la pandémie et de son effet néfaste sur l’ensemble des petites entreprises.
L’étude de cas illustre la souplesse dont l’IBank a dû faire preuve pour lancer un programme de microprêts en seulement deux semaines, après l’annonce des fermetures. Cette situation démontre que les banques d’infrastructure ont la capacité de s’adapter rapidement aux circonstances changeantes parce qu’elles fonctionnent comme des institutions privées. Les 50 millions de dollars américains versés par le gouvernement continuent de lui être remboursés, ce qui rend le programme de microprêts rentable comparativement aux subventions.
1.7 Projet Gigabit, Royaume-Uni
En 2022, le gouvernement du Royaume-Uni a lancé son ambitieux projet Gigabit de 5 milliards de livres sterling afin d’étendre l’accès à Internet haute vitesse sur l’ensemble de son territoire. Cette mesure stratégique visait à offrir le service gigabit à large bande sur 85 pour cent de son territoire d’ici 2025 et sur 99 pour cent de son territoire d’ici 2030. Un accès universel à Internet haute vitesse permettrait d’élargir les possibilités économiques, de redynamiser les collectivités et d’aider les entreprises dans leur transition vers la carboneutralité. L’objectif était de se coordonner avec le secteur privé pour bâtir l’infrastructure du service gigabit à large bande, mais le projet visait avant tout à étendre la couverture aux régions éloignées.
En janvier 2022, Ofcom, l’organisme de réglementation des télécommunications du Royaume-Uni, a rapporté que seulement 64 pour cent du territoire avait accès à Internet haute vitesse9Voir : Hutton, G. et Clark, A. (2022). Gigabit-Broadband: Funding for Rural and Hard to Reach Areas. UK House of Commons Library, Research Briefing CBP 9207. https://commonslibrary.parliament.uk/research-briefings/cbp-9207/#:~:text=The%20Government’s%20target%20is%20for,funding%20to%20deliver%20gigabit%2Dbroadband.. Pour convaincre les promoteurs privés de s’investir dans le projet, il fallait s’attaquer à certains enjeux financiers. Premièrement, plusieurs collectivités rurales étaient difficiles à atteindre et, pour les promoteurs, les profits potentiels n’étaient pas à la hauteur des ressources nécessaires pour les desservir. Deuxièmement, les promoteurs avaient besoin de financement, mais les prêteurs avaient une capacité et une tolérance au risque limitées. Pour que le marché privé réponde aux objectifs du projet Gigabit, les promoteurs avaient besoin d’un financement supérieur à la limite de capacité des prêteurs.
Le NWF a collaboré avec le gouvernement afin d’éliminer ces obstacles au financement. Le gouvernement a fourni un cadre stratégique intégré, qui divisait les régions du Royaume-Uni en trois catégories selon leur viabilité commerciale : 1) les régions rentables, qui regroupent les collectivités urbaines densément peuplées pouvant être desservies par de nombreux fournisseurs de réseau; 2) les régions semi-rentables, qui sont moins peuplées et moins desservies; et 3) les régions non rentables, qui regroupent les collectivités éloignées et les plus difficiles à atteindre où le déploiement d’Internet haute vitesse ne serait possible qu’avec un financement public supplémentaire.
La répartition stratégique des capitaux s’appuyait sur ce cadre. Les zones dans la catégorie rentable n’ont bénéficié d’aucune intervention financière. Pour ce qui est des régions dans la catégorie semi-rentable, le NWF a octroyé des prêts aux promoteurs pour accélérer la transition numérique. Ces prêts ont réduit les contraintes relatives aux risques pour les prêteurs privés et ont apporté un financement aux nouveaux fournisseurs indépendants qui n’étaient pas encore liés à une banque. Pour la catégorie non rentable, le gouvernement du Royaume-Uni a versé des subventions supplémentaires afin de couvrir partiellement les coûts d’installation.
Le partenariat du NWF avec le gouvernement illustre l’efficacité d’un cadre intégré pour aider les organismes gouvernementaux à répartir stratégiquement les capitaux de la manière la plus rentable. En travaillant de concert avec d’autres organismes gouvernementaux, le NWF a assuré une utilisation prudente du financement public pour atteindre les objectifs stratégiques établis.
2. Discussion et implications stratégiques
À partir de mon analyse, je présente les contextes dans lesquels les banques d’infrastructure peuvent être un outil stratégique rentable dans le vaste écosystème des programmes gouvernementaux. Je m’intéresse ensuite aux principaux risques et obstacles qui peuvent entraver leur efficacité et je formule des stratégies pour favoriser leur réussite.
2.1 Un outil stratégique rentable pour mobiliser des capitaux privés
Les banques d’infrastructure sont l’un des nombreux outils stratégiques que le gouvernement peut utiliser, au même titre que les crédits d’impôt, les subventions et la réglementation. Chaque outil stratégique peut être utilisé efficacement pour atteindre les compromis économiques auxquels le gouvernement doit parvenir.
Externalités positives et négatives : Pour atteindre ses objectifs économiques, le gouvernement doit choisir l’outil stratégique le mieux adapté pour promouvoir les externalités positives, étendre les retombées sociales et atténuer les externalités négatives. Les banques d’infrastructure sont particulièrement efficaces pour favoriser les externalités positives, car elles sont conçues spécialement pour attirer les investissements privés dans les projets d’infrastructure qui génèrent des avantages pour un vaste public. Par exemple, la mise en place d’une nouvelle infrastructure pour le stockage d’énergie par batterie facilite la production d’énergie propre. Cependant, le modèle des banques d’infrastructure est moins efficace pour atténuer les externalités négatives, comme la pollution provenant de sources existantes. D’autres outils stratégiques, comme la réglementation et la fiscalité, constituent une solution plus efficace. Les systèmes de tarification du carbone, par exemple, peuvent être conçus pour internaliser le coût du carbone et réduire la pollution.
Différents types d’organismes fondés sur les investissements : Les banques d’infrastructure font partie des divers types d’organismes gouvernementaux qui font en sorte que les investissements génèrent des externalités positives. Le niveau de contrôle que le gouvernement souhaite exercer sur le secteur économique est la principale différence entre ces organismes. Comme on peut le voir dans la figure 1 ci-dessous, si le gouvernement souhaite exercer un contrôle important sur un secteur (côté droit du spectre), il peut devenir actionnaire majoritaire par l’entremise de sociétés d’État, comme l’Ontario Power Generation. Les partenariats public-privé (PPP) sont un autre moyen pour le gouvernement de conserver la propriété de l’actif (Istrate et Puentes, 2011), tout en travaillant avec le secteur privé sur le projet d’infrastructure. La Windsor-Detroit Bridge Authority en est un bon exemple. Cette société d’État canadienne à but non lucratif a été créée pour gérer la procédure de passation de marchés pour la conception, la construction, le financement, l’exploitation et l’entretien du pont international Gordie-Howe reliant Windsor et Detroit grâce à un PPP. Si le gouvernement souhaite ne pas intervenir et laisser le secteur privé stimuler la croissance et la productivité d’un marché, il peut avoir recours aux banques d’infrastructure pour remédier aux défaillances du marché qui inhibent l’investissement privé (à gauche du spectre).
Investissements et subventions : Les subventions sont un autre moyen pour le gouvernement de stimuler les marchés privés. Elles présentent l’avantage de déployer des capitaux pour un large éventail de besoins, et le secteur privé les préfère à d’autres solutions parce qu’il n’y a aucune condition de remboursement. Or, sans ces conditions, elles deviennent coûteuses pour les contribuables, car ces dépenses ne sont pas récupérées10Les subventions sont généralement non remboursables. Les subventions à caractère fiscal réduisent le montant des impôts à payer et donc les recettes de l’État.. D’un autre côté, les investissements sont plus rentables parce que le gouvernement peut récupérer son investissement financier, sur lequel des intérêts ont couru. Par exemple, la Banque nordique d’investissement a pour objectif de reverser de 20 à 30 % de son profit net à ses bailleurs de fonds publics sous forme de dividende. Cependant, les investissements sont plus complexes à réaliser, et demandent la mise en place de mesures incitatives pour faire participer le secteur privé.
La figure 2 montre où les intérêts du gouvernement et du secteur privé se recoupent sur le marché, et comment cela influence le choix du type d’organisme public. Les marchés qui ne suscitent pas l’intérêt des investisseurs, ou très peu, ont besoin des subventions du gouvernement pour croître. Pensons, par exemple, aux technologies à un stade précoce qui suscitent une grande incertitude, comme la recherche en matière d’exploration spatiale ou les vaccins contre la COVID-19 mis au point durant la pandémie. Au milieu du spectre, on retrouve les marchés à fort potentiel commercial, mais dont les défaillances inhibent les investissements privés. Le gouvernement peut avoir recours aux banques d’infrastructure pour résoudre les défaillances du marché et le stimuler afin qu’il suscite davantage l’intérêt du secteur privé. Les marchés qui suscitent un intérêt élevé auprès des entreprises privées ne requièrent pas l’intervention du gouvernement, car ils génèrent eux-mêmes la croissance et la productivité.
Investissements et réglementation : Le gouvernement peut également adapter le cadre réglementaire pour stimuler les marchés privés et encourager les externalités positives. Prenons l’exemple de la propriété intellectuelle. L’État incite les entreprises à investir dans la recherche et le développement en délivrant des brevets qui leur donneront un monopole économique temporaire pour amortir leurs investissements. Cependant, les approches réglementaires fondées sur les mesures incitatives peuvent involontairement conduire à des monopoles permanents sur les marchés des infrastructures, en raison d’avantages géographiques et de nombreuses barrières à l’entrée.
2.2 Facteurs de risque externes et obstacles
Le modèle des banques d’infrastructure est confronté à plusieurs risques et obstacles externes qui peuvent nuire à son efficacité en tant qu’outil stratégique.
Absence d’engagement du gouvernement en faveur du développement du marché privé : Le succès du modèle des banques d’infrastructure dépend de l’engagement du gouvernement envers le rôle du secteur privé. Il ne suffit pas que le gouvernement crée une banque d’infrastructure dans l’espoir que celle-ci résolve à elle seule les défaillances du marché. Sans l’engagement du gouvernement en faveur du secteur privé, les banques d’infrastructure pourraient avoir du mal à nouer des partenariats avec des investisseurs privés. Par exemple, le Global Infrastructure Hub a indiqué en 2023 que les exigences réglementaires élevées en matière de fonds propres pour les actifs d’infrastructure freinent les investissements des banques privées dans ce domaine11Voir : https://www.gihub.org/articles/banks-are-critical-for-closing-infrastructure-deficits-but-banking-regulations-are-not-supportive/.. De tels obstacles réglementaires peuvent rendre difficile l’établissement de partenariats entre les banques d’infrastructure et les banques privées.
Aucun cadre stratégique commun : Les gouvernements gèrent un portefeuille d’organismes dont les mandats se recoupent parfois. Cela peut conduire à une situation où une banque d’infrastructure, une banque de développement et un organisme subventionnaire finissent par opérer dans le même secteur du marché. La conséquence peut être une utilisation inefficace des ressources de chaque organisme ainsi qu’une concurrence inutile pour les projets. Le gouvernement a besoin d’un cadre stratégique commun qui définit les objectifs distincts de chaque organisme et qui lui permet d’attribuer les projets aux organismes qui seront les plus efficaces. Le Projet Gigabit, au Royaume-Uni, illustre bien comment ce genre de cadre permet d’utiliser stratégiquement les subventions et les banques d’infrastructure pour réduire au minimum les dépenses inutiles et maximiser l’investissement privé.
Politiques instables : Les changements soudains de politique – comme la suppression des péages routiers ou la modification des règles relatives à la propriété privée des infrastructures – présentent un risque inquiétant pour les banques d’infrastructure. L’élaboration de grands projets d’infrastructure peut prendre des années et nécessite donc un environnement politique stable pour réussir. Les grands projets d’infrastructure à long terme ne sont viables que si certaines politiques sont maintenues.
Délais de réponse aux attentes : Les attentes à court terme sont incompatibles avec les calendriers d’investissement à long terme des banques d’infrastructure, ce qui pose problème. Dans de nombreux pays, le modèle des banques d’infrastructures est nouveau et leur objectif est différent de ceux des organismes subventionnaires. Ces derniers veillent à la distribution de fonds subventionnés, tandis que les banques d’infrastructure investissent. Les grands projets d’infrastructure peuvent prendre des années avant de générer des revenus. La mise en place adéquate d’une banque d’infrastructure prend du temps, car les décisions d’investissement et les négociations sont complexes et requièrent de la clairvoyance et de la réflexion. Les banques d’infrastructure doivent se doter d’une bonne gouvernance et d’un cadre d’investissement indépendant, et elles doivent trouver du personnel disposant d’une expertise du marché pour choisir efficacement les projets et prendre des décisions judicieuses.
2.3 Défis opérationnels et de gouvernance
Le modèle des banques d’infrastructure est complexe à mettre en œuvre et se heurte à plusieurs défis opérationnels et de gouvernance. Il faut adopter des stratégies pour optimiser l’efficacité des banques et s’attaquer à certains défis majeurs, par exemple la prévention de l’éviction des investisseurs privés, la gouvernance et l’évaluation du rendement.
Mobilisation ou éviction : Les banques d’infrastructure servent à catalyser les investissements privés et à stimuler la croissance dans les marchés exploités par le secteur privé. Pour y arriver, elles doivent attirer les investisseurs privés. Or, des banques trop bien établies sur le marché ou trop généreuses peuvent finir par avoir l’effet contraire et par évincer les investisseurs privés. Cela est le plus susceptible de se produire quand une banque d’infrastructure accorde des prêts assortis de conditions très avantageuses que les prêteurs privés ne peuvent pas concurrencer.
Les banques d’infrastructure peuvent réduire ce risque en établissant des stratégies d’entrée et de retrait claires. La stratégie d’entrée doit être adoptée en fonction de l’intérêt du secteur privé pour le marché. Idéalement, les conditions doivent couvrir le risque initial qui inhibe l’investissement privé sans toutefois être généreuses au point de rendre improbable la récupération du montant investi. Cet ajustement est essentiel. Des conditions trop avantageuses qui empêchent la concurrence du secteur privé entraîneront une défaillance permanente du marché, dans lequel le secteur privé sera incapable d’opérer et d’être concurrentiel sans subvention pérenne.
Une stratégie de retrait claire est également importante pour éviter que les banques d’infrastructure ne concurrencent le secteur privé à moyen terme. Celle-ci dépend de la catégorie de défaillance du marché à laquelle la banque s’attaque. Par exemple, les banques d’infrastructure qui remédient à une défaillance attribuable au risque doivent se retirer dès que le secteur privé est en mesure d’entrer en jeu. De même, les banques d’infrastructure qui interviennent dans la catégorie de défaillance due aux divergences doivent pouvoir se retirer dès que le problème lié à un changement de politique est réglé ou entièrement assumé par le secteur privé. Idéalement, une banque d’infrastructure doit toujours rester à l’affût des occasions où l’investissement privé est inhibé par une défaillance du marché qu’elle peut pallier. Après avoir résolu la défaillance du marché, la banque d’infrastructure passe le relais au secteur privé qui s’occupera à son tour de développer et de faire croître le marché par ses propres moyens.
Gouvernance : La valeur d’une banque d’infrastructure réside dans sa capacité à combiner deux forces : 1) la capacité des gouvernements à prendre des risques à long terme et à tirer parti des externalités positives générées par la mise en place de nouvelles infrastructures et 2) l’expertise commerciale et la souplesse opérationnelle du secteur privé. L’efficacité de ce modèle en tant qu’outil stratégique dépend de l’existence d’une structure de gouvernance solide, dans laquelle le gouvernement fixe les priorités stratégiques de la banque d’infrastructure, mais délègue les décisions d’investissement et les opérations à une équipe de gestion composée de spécialistes du secteur qui possèdent les compétences et les outils nécessaires pour cerner et résoudre les défaillances du marché. Cette structure doit être supervisée par un conseil de spécialistes possédant de l’expérience dans les secteurs public et privé, qui restent à l’affût de l’évolution du marché et transforment les principaux objectifs stratégiques en objectifs d’investissement clairs et tangibles. Idéalement, les membres de l’équipe de gestion sont recrutés dans le secteur privé pour leur expertise et leur capacité à atteindre ces objectifs.
Il y a de nombreux avantages à ce que les banques d’infrastructure fonctionnent comme des institutions privées. L’un d’eux est que les gestionnaires de fonds professionnels repèrent les défaillances du marché, structurent les transactions et gèrent les risques d’investissement importants. De plus, l’expertise et l’expérience des spécialistes en investissement renforcent la crédibilité du gouvernement aux yeux des investisseurs privés au moment des négociations12Comme Fernández-Arias et coll. (2020) l’explique, les défaillances du marché ne sont pas flagrantes, et les banques de développement sont dans une position unique pour les observer.. Par ailleurs, les connaissances du personnel dans le secteur privé permettent de garantir que le gouvernement bénéficiera d’un traitement équitable dans les transactions. Enfin, plus le processus d’investissement est indépendant, moins les investissements de la banque d’infrastructure risquent d’être influencés par des programmes politiques13Dans le cadre de ses recherches sur les banques publiques au Brésil, Carvalho (2014) révèle que les chefs politiques du pays ont recours aux prêts des banques publiques pour déplacer l’emploi vers les régions qui les avantagent, au détriment des régions qui les désavantagent, particulièrement avant des élections..
Cette structure de gouvernance qui combine le public et le privé a fait ses preuves dans d’autres contextes. Au Canada, les fonds de pension du secteur public ont adopté cette structure. Ils sont indépendants du gouvernement et leurs équipes de gestion sont issues du secteur privé (Banque mondiale, 2017)14Le Fonds de croissance du Canada, créé en 2022, est géré par Investissements PSP et s’appuie donc sur le cadre d’investissement du modèle des fonds de pension canadiens.. Ambachtsheer (2021) et Beath, Betermier, Flynn et Spehner (2021) ont démontré que ces fonds de pension ont réussi à générer un haut rendement ajusté au risque au cours des dernières décennies, ce qui assure un financement suffisant aux gouvernements qui les parrainent malgré une baisse des taux d’intérêt et une hausse de l’espérance de vie15 L’une des différences entre les banques d’infrastructure et les fonds de pension du secteur public canadien est que les banques d’infrastructure sont conçues pour mettre en œuvre des objectifs stratégiques qui évoluent, alors que la plupart des fonds de pension ont un mandat strictement axé sur la génération de rendements pour les personnes retraitées. Au sein des banques d’infrastructure, on peut donc s’attendre à un plus grand interventionnisme dans les projets et la définition de leurs objectifs organisationnels..
Mesure du rendement : L’absence d’un cadre d’évaluation du rendement clair et complet pose un défi supplémentaire pour le modèle des banques d’infrastructure. La difficulté réside dans le fait que les banques d’infrastructure ont de multiples objectifs, notamment un rendement ajusté au risque et des retombées sociales, comme la décarbonation, l’amélioration de la productivité et l’autonomisation financière des groupes à faibles revenus et des minorités. Sans cadre clairement établi dès le départ, le rendement devient difficile à mesurer.
Un ensemble d’indicateurs de rendement clés (IRC) doit être clairement défini, rendu public et périodiquement revu et mis à jour par le conseil d’administration. Comme l’objectif des banques d’infrastructures est de catalyser l’investissement privé, les IRC doivent inclure le montant de l’investissement privé mobilisé et la croissance du secteur privé sur le marché sous-jacent après le retrait de la banque d’infrastructure. Si l’orientation stratégique d’un gouvernement inclut des objectifs sociétaux dans le rendement d’une banque, les IRC doivent en tenir compte et inclure des mesures basées sur les résultats, comme la réduction des émissions de carbone associées aux nouveaux projets, la production totale d’électricité à partir d’énergies renouvelables ou le volume total des prêts accordés aux communautés mal desservies. Comme les banques d’infrastructure investissent à long terme, les objectifs pour ces mesures doivent être fixés par portefeuille et sur des horizons à moyen et à long terme. Ainsi, on s’assure que les banques d’infrastructure sont tenues responsables, tout en maintenant leur capacité de prendre des risques et d’investir à long terme. Enfin, il convient de bien comprendre les compromis entre les multiples objectifs des banques. Par exemple, un projet qui a des retombées importantes peut être assorti d’un objectif de rendement financier inférieur à celui d’un projet dont les retombées sont faibles. Un tel cadre permettrait de déterminer si et dans quelle mesure un financement concessionnel (c’est-à-dire dont les taux d’intérêt sont réduits) est approprié pour un projet donné en fonction de ses retombées.
3. Priorités pour le Canada
Au Canada, comme les banques d’infrastructure sont jeunes, il y a encore beaucoup à faire pour améliorer notre cadre stratégique et maximiser leur efficacité au sein du vaste écosystème des ministères et des organismes gouvernementaux. En prenant des exemples internationaux, voici un résumé des priorités et considérations stratégiques dont le Canada doit tenir compte.
Obtenir un engagement du gouvernement en faveur du développement du marché des infrastructures par le secteur privé : Contrairement à des pays comme le Royaume-Uni et l’Australie, la plupart des infrastructures canadiennes – y compris les aéroports, les ports maritimes, les chemins de fer et les services publics – sont la propriété des autorités fédérales, provinciales ou municipales16En 2024, un groupe de travail, présidé par l’ancien gouverneur de la Banque du Canada, Stephen Poloz, a été créé pour repérer les possibilités d’investissement des fonds de pension canadiens dans les infrastructures et autres marchés au pays. Ce groupe a notamment recommandé d’étudier les modifications à apporter aux baux fonciers des autorités aéroportuaires. Voir : https://financialpost.com/transportation/stephen-poloz-pension-funds-canadian-airports.. Récemment, on a beaucoup parlé du manque d’infrastructures à vendre puisque c’est l’une des raisons pour lesquelles les fonds de pension canadiens ont réduit leurs investissements au pays au cours de la dernière décennie (Dachis, 2017; Ambachtsheer, Betermier et Flynn, 2024). Les infrastructures sont une catégorie d’actif stratégique pour les fonds de pension. Elles permettent la diversification du portefeuille, l’atténuation des risques de responsabilité ainsi que la création de valeur directe et l’obtention de hauts rendements ajustés au risque (Beath, Betermier, Flynn et Spehner, 2021). Pour que les banques d’infrastructure parviennent à catalyser les investissements des banques privées et des grands investisseurs institutionnels, les autorités canadiennes doivent soutenir activement le rôle du secteur privé sur le marché des infrastructures.
Établir un cadre stratégique commun : Une autre priorité pour le Canada est d’établir un cadre stratégique commun qui aidera chaque organisme gouvernemental fondé sur les infrastructures à travailler en symbiose. En 2016, le gouvernement du Canada s’est engagé à consacrer plus de 180 milliards de dollars canadiens à des projets liés aux infrastructures dans tout le pays sur une période de 12 ans17Voir : https://logement-infrastructure.canada.ca/plan/about-invest-apropos-fra.html#:~:text=tous%20les%C2%A0Canadiens.-,Volets%20d%27investissement,-Afin%20de%20promouvoir.. Ces projets seront mis en œuvre par plus de 20 ministères et organismes fédéraux, principalement sous la forme de subventions. Au cours de la dernière décennie, les gouvernements fédéral et provinciaux ont également lancé de nombreux fonds d’investissement afin de catalyser les investissements privés dans les infrastructures. Le gouvernement fédéral a créé la BIC en 2017 et le Fonds de croissance du Canada en 2022. En décembre dernier, dans l’Énoncé économique de l’automne 2024, le gouvernement a annoncé son intention de lancer de nouveaux fonds d’investissement publics pour soutenir le développement de projets de centres de données d’intelligence artificielle, d’investissements en capital-risque et d’entreprises à capitalisation moyenne18Voir l’Énoncé économique de l’automne 2024 : https://www.budget.canada.ca/update-miseajour/2024/report-rapport/chap2-fr.html#22-soutenir-croissance-competitivite.. En 2023, le gouvernement de l’Ontario a lancé le Fonds ontarien pour la construction19Voir : https://www.infrastructureontario.ca/fr/actualites-et-medias/nouvelles/general-news/banque-de-linfrastructure-de-lontario/.. Ces nouvelles organisations complètent les banques publiques de développement bien établies, comme Exportation et développement Canada et la Banque de développement du Canada.
La présence de plusieurs organismes subventionnaires et d’investissement sur le même marché vient avec un risque élevé de concurrence. En 2022, un examen législatif a permis de révéler que bon nombre de parties prenantes continuent de préférer les modèles de financement traditionnels aux nouveaux modèles proposés par les banques d’infrastructure, d’une part en raison de leur préférence pour le financement public plutôt que privé et d’autre part parce que les programmes de subvention et de contribution sont assortis de moins de conditions20D’après la section 4.3 dudit examen, « l’Examen a permis de constater que certains intervenants continuent de préférer des modèles de financement traditionnels plutôt que les modèles alternatifs offerts par la BIC, soit parce que le modèle ne convenait pas tout à fait à certains projets, ou parce que d’autres préféraient renoncer à des partenariats privés ou à d’autres partenariats en raison de la préférence pour la propriété publique. Certains gouvernements ont dit préférer davantage les programmes de subventions et de contributions assortis de moins de conditions et d’objectifs. » Source : https://logement-infrastructure.canada.ca/CIB-BIC/legislative-review-2017-2022-examen-loi-fra.html#:~:text=Comme%20toute%20nouvelle%20organisation.. Pour générer la plus grande mobilisation possible du secteur privé, il sera essentiel d’entretenir un lien avec celui-ci et de bien coordonner les organisations nommées plus haut.
Fixer des attentes claires : Le Canada doit également, en priorité, fixer des attentes claires sur le temps nécessaire pour la mise en place adéquate d’une banque d’infrastructure et d’un bon cadre d’investissement indépendant. Par exemple, le cadre d’investissement initial de la BIC exigeait que chaque investissement admissible soit issu d’un plan d’entreprise approuvé par le Conseil du Trésor. Ce processus était chronophage, difficile à gérer et entraînait des retards dans le versement des capitaux aux projets. Par conséquent, de sa création en 2017 jusqu’en 2020, la BIC n’a pris qu’un seul engagement de financement d’un montant total de 1,2 milliard de dollars canadiens21Voir le Rapport annuel 2021-2022 de la BIC : https://cdn.cib-bic.ca/files/documents/reports/fr/Rapport-Annuel-2021-22.pdf.. En 2020, la BIC a mis en place un nouveau cadre d’investissement délégué qui lui confère une autonomie opérationnelle. Ainsi, entre 2020 et 2024, la BIC a pris 78 engagements d’investissement pour un montant total de plus de 12 milliards de dollars canadiens22Voir le Rapport financier du troisième trimestre (T3) de l’exercice 2024-2025: https://cdn.cib-bic.ca/files/documents/reports/fr/BIC-Rapport-financier-trimestriel-T3-2024-2025.pdf..
S’inspirer des stratégies des banques d’infrastructure étrangères : L’analyse comparative des banques d’infrastructure présentées dans le présent article permet de dégager plusieurs considérations stratégiques pertinentes pour le Canada. Par exemple, est-il utile d’établir un système semblable au modèle d’InvestEU, qui fournit des garanties de prêt pour couvrir le risque des projets d’infrastructure? Par ailleurs, à quel moment les investisseurs privés doivent-ils participer à un projet? En ce moment, la BIC doit conclure des partenariats d’investissement privé pour qu’un projet soit lancé, tandis que d’autres banques peuvent aller de l’avant avec un projet en comptant sur le fait que des investisseurs privés interviendront ultérieurement.
Ces priorités et considérations stratégiques font ressortir les principaux risques et défis que le Canada doit relever pour assurer le succès des banques d’infrastructure. Ces défis sont à notre portée, et j’ai fourni plusieurs suggestions sur la manière de les relever. Les responsables politiques qui évaluent l’ampleur de ces défis doivent garder à l’esprit que les autres outils stratégiques viennent aussi avec leurs propres risques et défis. Pour le gouvernement, les subventions constituent parfois des investissements considérables, et ces montants ne seront pas récupérés. Les monopoles d’État sont susceptibles d’entraîner une hausse des prix et une réduction de la qualité et d’entraver l’innovation. Dans l’ensemble, le présent article démontre que les banques d’infrastructure peuvent jouer un rôle important pour répondre aux besoins d’infrastructure importants et urgents du Canada. Pour ce faire, les gouvernements devront concevoir soigneusement le cadre stratégique et relever les principaux défis opérationnels et de gouvernance, par exemple l’éviction de capitaux privés ainsi que la mesure efficace du rendement.
Conclusion
L’analyse contenue dans le présent article brosse un portrait théorique et pratique en faveur du modèle des banques d’infrastructure. Leur capacité à assumer des risques à long terme, à tirer parti du sens des affaires et de l’agilité opérationnelle du secteur privé et à récupérer le capital investi en fait un outil stratégique potentiellement puissant et rentable, capable de catalyser les investissements privés sur un éventail de marchés des infrastructures et de générer de vastes retombées économiques. J’ai présenté plusieurs stratégies pour surmonter les défis opérationnels et de gouvernance auxquels sont confrontées les banques d’infrastructure dans le cadre de leur mandat et de leur cheminement vers le succès.
Une analyse quantitative du rendement des banques d’infrastructure constituera la prochaine étape essentielle afin d’approfondir la discussion. Quel est le succès de leurs investissements à long terme et quels types de défaillances du marché parviennent-elles à pallier le plus efficacement? En outre, quelles banques d’infrastructure ont mis en place les cadres et les structures les plus efficaces (ou les moins efficaces), et quelles leçons pouvons-nous en tirer? Nous devons également mieux comprendre les exigences en matière d’investissement des différents types d’investisseurs privés susceptibles de tisser des partenariats avec les banques d’infrastructure, et savoir dans quelle mesure ces exigences sont compatibles avec les projets des banques. Les banques d’infrastructure font face à de nombreux défis, c’est pourquoi elles doivent faire l’objet d’un contrôle rigoureux et être parfaitement comprises pour atteindre tout leur potentiel.
Je remercie Colin Busby, Alexandre Laurin et Jeremy Kronick de l’Institut C.D. Howe, ainsi que les réviseurs externes Keith Ambachtsheer, Michael Fenn, Sarah Hobbs et Mark Zelmer pour leurs commentaires utiles. Je remercie également Travis Allan, Natasha Apollonova, Katherine Betermier, John Casola, Catherine Chan, Ehren Cory, Hannah Cook, Al Denholm, Jonathan Dugay-Arbesfeld, Russ Culverwell, Richard Francella, Brian Friesen, Sashen Guneratna, Megan Hodapp, Waruna Karunaratne, Clint Kellum, Joel Kenrick, Jenny Lackey, Rory Lonergan, Viktor Martelin, Oriane Pacic, Andrew Posluns, Steven Robins, Heechung Sung, Dan Taylor, Hillary Thatcher, Jeanette Vitasp, Mike Wedderspoon et Scott Wu de leur précieuse contribution. Pierre Emelina et Gabriel Podolsky m’ont offert une excellente aide à la recherche. Enfin, je remercie Pierre Emelina et Gabriel Podolsky pour leur aide à la recherche ainsi que Suzanne Brunet et Geneviève Chantal-Hébert pour leur aide dans la traduction.
Je remercie la Banque de l’infrastructure du Canada de son soutien. Les opinions exprimées dans le présent article sont exclusivement les miennes et ne reflètent pas celles de l’Université McGill, de l’International Centre for Pension Management (ICPM) ou de l’Institut C.D. Howe. J’assume la responsabilité de toute erreur qui pourrait s’être glissée dans le présent article.
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